Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5435


5435. — À M. NOVERRE[1].
pensionnaire du roi, maître des ballets de l’empereur.
11 octobre 1763[2].

J’ai lu, monsieur, votre ouvrage de génie[3] ; mes remerciements égalent mon estime. Votre titre n’annonce que la danse, et vous donnez de grandes lumières sur tous les arts. Votre style est aussi éloquent que vos ballets ont d’imagination. Vous me paraissez si supérieur dans votre genre que je ne suis point du tout étonné que vous ayez essuyé des dégoûts qui vous ont fait porter ailleurs vos talents. Vous êtes auprès d’un prince qui en sent tout le prix.

Une vieillesse très-infirme m’a seule empêché d’être témoin de ces magnifiques fêtes que vous embellissez si singulièrement. Vous faites trop d’honneur à la Henriade, de vouloir bien prendre le temple de l’Amour pour un de vos sujets : vous ferez un tableau vivant de ce qui n’est chez moi qu’une faible esquisse. Je crois que votre mérite sera bien senti en Angleterre, parce qu’on y aime la nature. Mais où trouverez-vous des acteurs capables d’exécuter vos idées ? Vous êtes un Prométhée, il faut que vous formiez des hommes, et que vous les animiez.

J’ai l’honneur d’être, etc.

  1. Jean-Georges Noverre a été baptisé à Paris le 20 avril 1727, dans la chapelle protestante hollandaise. (B.)
  2. J’ai imprimé cette lettre à la date de septembre 1760 ; c’est là qu’elle se trouve dans les éditions de Kehl. Ce qui me portait à croire cette date exacte, c’est que la première édition des Lettres sur la danse et les ballets a paru en 1760 ; mais en tête de l’édition de cet ouvrage, 1807, deux volumes in-8o, intitulés Lettres sur les arts imitateurs en général et sur la danse en particulier, la lettre de Voltaire est datée du 11 octobre 1763 : c’est une réponse à une lettre de Noverre du 1er septembre. (B.)
  3. Lettres sur la danse et sur les ballets. La première édition de cet ouvrage est de 1760.