Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5199
Je vous envoie, monsieur, pour votre consolation la lettre de notre rapporteur, et je la confie à votre extrême discrétion ; il n’est point du tout d’usage que les juges d’une affaire écrivent aux solliciteurs, et encore moins à ceux qui se rendent en quelque façon partie, comme moi. Je n’ai reçu qu’hier 19 cette lettre, qui est du 10. Il arrive très-souvent qu’on néglige à Paris d’envoyer les lettres à la poste au jour prescrit. Mais je vois qu’on ne néglige point notre affaire. Vous sentez bien qu’elle est immanquable, puisque le rapporteur me dit qu’il viendra nous voir, et qu’assurément il n’y viendrait point s’il était contre nous. On a cru que depuis sa lettre écrite, le rapport a été commencé, mais non fini. Vous voyez que tous les ministres veulent assister au jugement du conseil, et qu’ils suivent en cela l’exemple de M. le duc de Praslin : ce n’est pas assurément pour me faire de la peine ; ainsi bénissons Dieu, qui daignera tirer un très-grand bien d’un très-grand mal.
J’allais envoyer cette lettre, lorsque je reçois la vôtre de ce matin. Voici le fait. C’est l’usage des jeunes maîtres des requêtes qui rapportent des affaires importantes, de faire quelques répétitions à huis clos devant quelques-uns de leurs confrères. C’est ce qu’a fait M. de Crosne, et c’est ce qui a occasionné l’erreur. On a dit que la pièce avait été jouée, quand elle n’avait été que répétée. Encore une fois, vous devinez bien par la lettre de M. de Crosne que nous devons avoir les plus justes et les plus grandes espérances.
Voici les noms des juges et leur opinion[2].
À la roue :
Les nommés Cleirac-Casan, rapporteur ;
Senaux ;
La Bordes ;
Puget ;
Cassan-Jottes ;
D’Arbous ;
Desinnocents ;
Beaugeat, lequel se détacha des six autres qui demandaient un plus amplement informé.
Vous devez avoir les noms des cinq juges qui persistèrent dans leur premier avis. Vous les trouverez dans un ancien écrit que vous m’avez prêté, et que je vous ai rendu.
Il faut que les cinq juges favorables soient :
Bernard Gauran ;
Emmanuel Cambon ;
Étienne Boissy ;
Jean Goudougnan ;
Et André Miramont.
Je crois ne me pas tromper. Les premières listes étaient fausses. Ne montrez à personne la lettre de M. de Crosne.
- ↑ Éditeur, A. Coquerel.
- ↑ Voici ces noms, tels que nous les avons trouvés dans les pièces originales : MM. de Cassan-Clairac, rapporteur, le président de Senaux, de Lasbordes, le président du Puget, Cassan-Glatens (appelé aussi Cassan-Gotte ou de Jotte), d’Arbou, Desinnocents, de Bojal, doyen, qui décida la mort de Calas en se joignant aux sept premiers.
MM. Gauran, Cambon, de Boissy (qui avait été chargé de continuer l’information commencée par les capitouls), Coudougnan et Miramont, ne prononcèrent pas la sentence de mort ; mais un seul d’entre eux se déclara pour l’acquittement. Nous regrettons vivement de ne pouvoir le désigner, mais peut-être inclinerions-nous à attribuer cet insigne honneur à Etienne de Boissy. Deux autres consentirent à la torture seulement, pour juger ensuite. S’ils l’eussent emporté, il est presque certain que Calas, n’ayant rien avoué, eût été absous, ou au moins aurait eu la vie sauve. Les deux derniers voulaient vérifier avant tout si le suicide de Marc-Antoine, pendu à la pièce de bois posée sur les deux portes, était, comme on le prétendait, une impossibilité matérielle. (Note du premier éditeur.)