Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5168

Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 363-364).
5168. — À M. DEBRUS[1].

C’est apparemment, monsieur, quelqu’un de la Salle, village des Cévennes, et non M. de Lasalle, conseiller au parlement, qui a écrit la lettre dont vous m’avez envoyé l’extrait[2]. La réflexion sur la servante me paraît décisive, et je vais écrire sur-le-champ qu’on insiste beaucoup sur cette preuve, qui doit faire impression sur les juges, quoiqu’elle ne soit pas à la rigueur dans l’ordre judiciaire.

Au reste, je voudrais qu’on se tînt tranquille jusqu’au jour de la décision ; il n’y a plus rien à faire qu’à attendre le jugement, et j’ose encore une fois être certain qu’il sera favorable. Je vais écrire aux avocats pour les engager à présenter requête contre l’insolence des juges languedochiens qui font saisir un mémoire d’avocats comme un libelle. Cette tyrannie n’est pas tolérable, et tout ce qui est tyrannie me déplaît terriblement. Je vous embrasse de tout mon cœur.

P. S. L’embrassade[3] a été faite dans une audience particulière donnée à M. de Beaumont.

Au dos : Fin de janvier 1763.

  1. Éditeur, A. Coquerel.
  2. Voici cet extrait ; il figurait sous le n° 80, comme une pièce à part, dans la collection de M. Dawson Turner, tandis que la lettre qu’on vient de lire y portait le n° 87. M. de Végobre devait avoir conservé des relations avec la Salle, sa ville natale ; il y avait des parents, et peut-être est-ce l’un d’eux qui écrivit ces remarques, dont la justesse et la nouveauté frappèrent si vivement Voltaire. Plus loin Voltaire parle d’un frère de M. de Végobre ; on savait déjà que leur père, M. de Manoel, avait plusieurs enfants.

    « De la Salle, dans les Cévennes, le 17 janvier 1763. »

    « J’ai lu le solide Mémoire à consulter, la docte consultation, fameuse par le nombre des avocats de grand nom et par la matière, le judicieux mémoire de M. Mariette, et le ravissant écrit de M. Loyseau. La police de Montpellier a fait saisir tous les exemplaires de ces ouvrages, et en a défendu le débit sous les plus grièves peines. On n’aime pas d’entendre dire que les religionnaires n’ont pas tort. Je crois que M. de Voltaire a raison de penser que cette affaire pourra servir à ouvrir les yeux à bien des gens, du moins aux bons esprits. Les efforts qu’on fait pour éteindre la lumière et arrêter les progrès de la raison ne serviront sans doute qu’à faire paraître cette même lumière avec plus d’éclat.

    « La générosité de M. de Voltaire, cet ami des hommes, lui fait un honneur infini. Nous avons bu plus d’une fois à sa santé, et moi, qui ne bois que de l’eau, je l’ai fait avec du vin pur.

    « Il me semble que ces célèbres avocats n’ont pas assez pesé sur le caractère de la servante. Cette fille est dans l’usage de se confesser deux fois la semaine ; elle a, par conséquent, la foi la plus parfaite pour la confession. Sans doute qu’elle a confessé et communié plus d’une fois depuis sa sortie de prison ; sans doute aussi que le confesseur lui a parlé de cette affaire. Si elle lui eût dit que Calas père eût pendu son fils, ce confesseur lui eût refusé l’absolution jusqu’à ce qu’elle en eût fait la déclaration aux juges. De là on peut conclure qu’elle a dit vrai dans ses réponses ; et le témoignage de cette fille, toutes les circonstances pesées, a autant de force, à mon avis, que jamais en eût eu celui de Caton. »

  3. Voyez la lettre 5165.