Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4997

Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 201-202).

4997. — À M. DEBRUS[1].

Il serait fort triste et dangereux que les Lettres toulousaines[2] parussent en France avant la décision du procès ; il y a des choses trop violentes contre le parlement de Toulouse ; on accuserait ces lettres d’être séditieuses ; elles fourniraient des armes contre nous. On y a joint très-mal à propos l’affaire de Sirven[3] à celle des Calas : c’est ce que je craignais le plus, et ce que j’ai bien recommandé à nos avocats d’éviter. M. de Saint-Florentin n’est pas trop pour nous ; si ces lettres lui parviennent il pourra représenter au roi les protestants comme des factieux. Et le parlement de Toulouse ne manquera pas de dire que tous les trois mois il y a un père de famille protestant accusé d’avoir tué son fils ou sa fille en haine de la religion catholique ; il dira qu’il a fallu un exemple. Les amis qu’on s’est procurés avec beaucoup de peine se refroidiront ; ce n’est pas ainsi qu’on doit conduire une affaire aussi grave et aussi importante. Il faut que M. de Végobre fasse les plus grands efforts pour empêcher ce livre de pénétrer en France. J’écris de mon côté et je fais écrire à Lausanne. L’auteur doit absolument supprimer le débit de son livre jusqu’à ce que nous ayons un arrêt qui condamne entièrement celui du parlement de Toulouse.

Est-il possible qu’on veuille gâter une affaire qui est en si bon train, et rendre toutes nos peines inutiles ?

Voici une petite réponse que je fais à Mme Calas.

Je prie M. Debrus d’avoir grand soin de sa santé.

Je crois que M. de Gouvernet est rarement chez lui, et qu’on ne peut le trouver que chez sa femme, qui loge dans la rue Condé ou dans la rue voisine qui conduit au Luxembourg ; elle n’est connue que sous le nom de Mme de Livry, attendu que nous ne marions point les maudits huguenots, en face de l’Église, avec les bénits catholiques[4].

  1. Éditeur, A. Coquerel.
  2. De Court de Gébelin.
  3. Voyez l’Avis au public sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven ; tome XXV, page 517.
  4. Suzanne-Catherine de Livry est très-connue par ses relations intimes avec Voltaire, qui lui adressa plus tard l’épître fameuse intitulée les Tu et les Vous, quand, après une vie assez aventureuse, elle eut épousé en Angleterre un protestant, Charles-Frédéric de La Tour du Pin de Bourbon, marquis de Gouvernet. Ce mariage était nul en France. Mme de Livry, née comme Voltaire en 1694, mourut comme lui en 1778.

    La famille de La Tour du Pin descend d’un huguenot qui fut un des principaux lieutenants de Montbrun et de Lesdiguières, René de La Tour du Pin Gouvernet, né en 1543.

    En 1685, au moment de la révocation de l’édit de Nantes, une marquise de Gouvernet obtint la permission d’aller en Angleterre, où une de ses filles était mariée, mais à condition de laisser ses autres enfants en France. Elle avait trois fils ; ce ne peut être que son petit-fils qui épousa Mme de Livry. (Note du premier éditeur.)