Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4975
Lisez cela[1], monseigneur, je vous en conjure, et voyez s’il est possible que les Calas soient coupables. L’affaire commence à étonner et à attendrir Paris, et peut-être s’en tiendra-t-on là. Il y a d’horribles malheurs qu’on plaint un moment, et qu’on oublie ensuite. Cette aventure s’est passée dans votre province ; Votre Éminence s’y intéressera plus qu’un autre. Je peux vous répondre que tous les faits sont vrais ; leur singularité mérite d’être mise sous vos yeux.
Cette tragédie ne m’empêche pas de faire à Cassandre toutes les corrections que vous m’avez bien voulu indiquer : malheur à qui ne se corrige pas, soi et ses œuvres ! En relisant une tragédie de Mariamne[2], que j’avais faite il y a quelque quarante ans, je l’ai trouvée plate et le sujet beau ; je l’ai entièrement changée ; il faut se corriger, eût-on quatre-vingts ans. Je n’aime point les vieillards qui disent : J’ai pris mon pli. — Eh ! vieux fou, prends-en un autre ; rabote tes vers, si tu en as fait, et ton humeur, si tu en as. Combattons contre nous-mêmes jusqu’au dernier moment ; chaque victoire est douce. Que vous êtes heureux, monseigneur ! vous êtes encore jeune, et vous n’avez point à combattre.
Natales grate numeras, ignoscis amicis.
E per fine baccio il lembo della sua sacra porpora.