Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4948

Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 149-150).

4948. — À M. LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[1].
Aux Délires, 27 juin 1762.

Je vous dois bien des remerciements, monsieur, pour les pièces d’un procès que je voudrais voir fini[2]. Quand vous pourrez m’envoyer le petit mémoire que vous m’avez promis[3] je vous garderai secret et fidélité. Vous aurez en revanche des pièces bien singulières et bien intéressantes d’un autre procès.

J’ai commencé par faire travailler votre dentiste sur les belles dents de Mlle Corneille. Pourquoi parlez-vous aujourd’hui des opuscules du philosophe de Sans-Souci, dont on ne parle plus ? Vous voilà bien scandalisé de ce qu’il écrit au maréchal Keith, comme Lucrèce parlait à Memmius, et comme Cicéron et César s’expliquaient en plein sénat. Si vous voulez être scandalisé, soyez-le de ce que ce prétendu philosophe a immolé plus de quatre cent mille hommes à sa petite ambition d’acquérir une petite province.

Il y a un décret de prise de corps contre Jean-Jacques, à Genève comme à Paris. Il est puni pour les seules choses bien écrites qui soient dans ses mauvais livres. Ce polisson s’est avisé d’écrire sur l’éducation ; mais auparavant il eût fallu qu’il eût eu de l’éducation lui-même.

Une chose plus importante que j’ai à vous dire, c’est qu’il y a de bonnes raisons d’espérer la paix en Allemagne ; mais,


Belle Philis, on désespère,
Alors qu’on espère toujours.


De quoi s’avise le président de Brosses de montrer mes lettres ! Oui, je crie contre les fêtes, je fais travailler les fêtes. Il est abominable d’avoir soixante jours consacrés à l’ivrognerie. C’est une affaire de police dont tous les parlements devraient se saisir. L’agriculture est plus agréable à Dieu que la taverne. Les sauvages en cela sont mieux policés que nous. Mille respects à madame la présidente, et vale, dulcissime rerum.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Il s’agit toujours de l’affaire Varennes.
  3. Probablement la brochure de M. de Bévy.