Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4887


4887. — À M. COLINI.
À Ferney, 23 avril.

Mon cher Colini, j’ai différé longtemps à vous répondre sur le Cassandre. J’ai voulu auparavant connaître moi-même mon ouvrage, et, pour le connaître, il a fallu le faire jouer. J’ai fait venir Lekain à Ferney ; il a eu cette complaisance. J’ai vu l’effet de la pièce : c’est un très-beau coup d’œil, ce sont des tableaux continuels ; mais aussi ils demandent des comédiens qui soient autant de grands peintres, et qui sachent se transformer en peintures vivantes. Le moment du bûcher fut terrible ; les flammes s’élevaient quatre pieds au-dessus des acteurs. Enfin c’est une tragédie d’une espèce toute nouvelle. Les trois derniers actes sont absolument différents de la première esquisse que je pris la liberté d’envoyer à Son Altesse électorale ; mais il s’en faut bien encore que je sois content. J’ai senti à la représentation qu’il manquait beaucoup de nuances à ce tableau ; j’y travaille encore.

Je vous prie de me mettre aux pieds de Son Altesse électorale, moi et Cassandre. Si elle voulait me renvoyer mon ancien manuscrit, je lui serais infiniment obligé : il n’y aurait qu’à l’adresser à Mme de Fresney, à Strasbourg, elle me le ferait tenir avec sûreté.