Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4724

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 496-497).
4724. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
26 octobre.

Mes anges ont terriblement affaire avec leur créature. Je pris la liberté de leur envoyer, il y a quelque temps, un paquet pour Mme du Deffant. Il y avait dans ce paquet une lettre, et, dans cette lettre, je lui disais : Rendez le paquet aux anges quand vous l’aurez lu, afin qu’ils s’en amusent[1]. Je n’ai point entendu parler depuis de mon paquet.

Le Droit du Seigneur vaut mieux que Zulime ; et cependant vous faites jouer Zulime.

Olympie ou Cassandre vaut mieux que le Droit du Seigneur ; qu’en faites-vous ?

Nota bene qu’au commencement du troisième acte le curé d’Éphèse dit :


Peuple, secondez-moi[2].


Je n’aime pas qu’on accoutume les prêtres à parler ainsi : cela sent la sédition ; cela ressemble trop à Malagrida et à ce boucher de Joad. Mes prêtres, chez moi, doivent prier Dieu, et ne point se battre. Je vous supplie de vouloir bien faire mettre à la place :


Dieu vous parle par moi.


Un petit mot de Malagrida et de l’Espagne, je vous en prie.

J’ignore l’auteur des Car[3] ; mais Lefranc de Pompignan mérite correction ; il serait un persécuteur s’il était en place. Il faut l’écarter à force de ridicules. Ah ! s’il s’agissait d’un autre que d’un fils de France, quel beau champ ! quel plaisir ! Marie Alacoque[4] n’était pas un plus heureux sujet. Mais apparemment l’auteur des Car est un homme sage, qui a craint de souffleter Lefranc sur la joue respectable d’un prince dont la mémoire est aussi chère que la plume de son historien est impertinente.

Dites-moi donc quelque chose de l’Espagne, en revenant d’Éphèse.

J’ai lu le Mémoire historique[5] : « il m’a donné un soufflet, mais je lui ai bien dit son fait[6]. » Je crois que ce mémoire échauffera tous les honnêtes gens, tous les bons citoyens.

L’île Miquelon et un commissaire anglais[7] sont quelque chose de si humiliant, qu’il faut donner la moitié de son bien pour courir après l’autre, et pour faire la paix sur les cendres de Magdebourg : c’est mon avis. Ô Espagne ! secours-nous donc ; nous t’avons tant secourue !

Pardon, ô anges !

  1. Cette phrase n’est pas dans la lettre à Mme du Deffant du 16 septembre (n° 4677), qui paraît pourtant être celle dont Voltaire parle ici.
  2. Cette première version n’a pas été conservée, non plus que celle que donne ici Voltaire. Elle était sans doute dans le dernier couplet de la scène première du troisième acte.
  3. Voyez tome XXIV, page 201.
  4. Voyez la note, tome XVII, page 7.
  5. Mémoire historique sur les négociations de la France et de l’Angleterre depuis le 26 mars 1761 jusqu’au 20 septembre de la même année, avec les pièces justificalives (au nombre de trente et une), 1761, in-8° et in-12. Voltaire, dans sa lettre à Damilaville du 11 novembre, dit que Choiseul avait composé ce Mémoire en trente-six heures.
  6. Molière, M. de Pourceaugnac, acte I, scène vi.
  7. Dans la réponse à l’ultimatum de la cour de France, l’Angleterre offrait de cèder l’ile Saint-Pierre dans le golfe Saint-Laurent, mais se réservait l’île Miquelon ou Michelon, au nord de la première, avec le droit de résidence d’un commissaire anglais à l’île Saint-Pierre, et, en outre, le droit de visite de la part du commandant de l’escadre britannique. (B.)