Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4718
Votre Marseillais, monsieur, est très-aimable, et M. Guastaldi encore plus. Mais il me traduit d’un style si facile, si naturel, si élégant, qu’on croira quelque jour que c’est lui qui a fait Alzire, et que c’est moi qui suis son traducteur. Je le remercie tant que je peux. Je ne prends pas la liberté d’envoyer la lettre[1] à Votre Excellence, parce que j’y prends celle de parler de vous, et qu’après tout il n’est pas honnête de dire des vérités en face.
Est-il vrai que la belle, la vertueuse Hormenestre repassera les montagnes au printemps ? Vous souviendrez-vous de Baucis et de Philémon ? Notre cabane ne s’est pas encore changée en temple, mais elle l’est en théâtre. Nous en avons un à Ferney digne de madame l’ambassadrice ; elle aura aussi le plaisir d’entendre la messe dans une église toute neuve, que je viens de faire bâtir exprès pour vous. Le dernier acte de ministre des affaires étrangères qu’a fait M. le duc de Choiseul a été de m’envoyer des reliques[2] de la part du pape. Ainsi vous aurez chez moi le profane et le sacré à choisir, et nous vous donnerons de plus une pièce nouvelle très-édifiante.
Si je n’étais pas guédé de vers, je crois que j’en ferais pour M. de Laudon. La prise de Schweidnitz[3] me paraît la plus belle action de toute la guerre, et celle que l’on fait aux jésuites me paraît vive.
Il me vint ces jours passés un jésuite portugais qui me dit qu’il sortait de l’Italie, parce qu’ils y étaient trop mal venus. Il me demanda de l’emploi dans ma maison : cela me fit souvenir de l’aumônier Poussatin[4]. Je lui proposai d’être laquais, il accepta ; et sans Mme Denis, qui n’en voulut point, il aurait eu l’honneur de vous servir à boire à votre passage. C’est dommage que cette affaire soit manquée.
Je vous présente mon très-tendre respect.