Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4716

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 488).

4716. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
24 octobre.

Il était impossible, mes chers anges, qu’il n’y eût des bêtises dans le petit manuscrit[1] dont je vous ai régalés. La rapidité d’Esdras ne lui a pas permis d’éviter les contradictions, ni à moi non plus.

Il y a un Cassandre pour un Antigone à la fin du quatrième acte. Voici la correction toute musquée ; il n’y a qu’à la coller avec quatre petits pains rouges. Je supplie mes anges de m’avertir des autres bêtises. J’ai lu cette pièce de couvent à M. le duc de Villars et à des hérétiques. Oh, dame ! c’est qu’on fondait en larmes à tous les actes ; et si cela est joué, bien joué, joué, vous m’entendez, avec ces sanglots étouffés, ces larmes involontaires, ces silences terribles, cet accablement de la douleur, cette mollesse, ce sentiment, cette douceur, cette fureur, qui passent des mouvements des actrices dans l’âme des écoutants, comptez qu’on fera des signes de croix. Cependant, si on ne joue pas le Droit du Seigneur, je renonce au tripot. Je crois. Dieu me pardonne, que j’aime Mathurin autant qu’Olympie. Je ne suis pas fâché qu’on ait brûlé frère Malagrida ; mais je plains fort une demi-douzaine de Juifs qui ont été grillés. Encore des auto-da-fé dans ce siècle ! et que dira Candide ? Abominables chrétiens ! les nègres, que vous achetez douze cents francs, valent douze cents fois mieux que vous ! Ne haïssez-vous pas bien ces monstres ?

Et l’Espagne ? pour Dieu, un petit mot de l’Espagne.

  1. Le manuscrit d’Olympie.