Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4672

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 439-440).

4672. — À M. DUCLOS.
14 septembre.

Je commence par remercier ceux qui ont eu la bonté de mettre en marge des notes sur mes notes. Je n’ai l’édition in-folio de 1667[1] que depuis huit jours.

J’ai commencé toutes mes observations sur l’édition très-rare de 1644, dans laquelle Corneille inséra tous les passages imités des Latins et des Espagnols.

Ces observations, écrites assez mal de ma main au bas des pages, ont été transcrites encore plus mal sur les cahiers envoyés à l’Académie.

Il n’est pas douteux que je ne suive dorénavant l’édition de 1664. Cette petite édition de 1644 ne contient que Mèdèe, le Cid, Pompée, et le Menteur, avec la Suite du Menteur.

A-t-on pu douter si j’imprimerais les Sentiments de l’Académie sur le Cid[2] ?

Ella misma requirio al rey que se le diesse por marido. Et vous dites qu’il n’y a pas là d’altrnative ! Vous avez raison : mais lisez ce qui suit :

Ea eslava muy prendada de sus partes. Voilà nos parties. … Ô le castigasse conforme à las leyes ; et voilà votre alternative.

Comptez que je serai exact.

Je suis bien aise d’avoir envoyé et soumis à l’examen mes observations, tout informes qu’elles sont : 1° parce que vos réflexions m’en feront faire de nouvelles ; 2° parce que le temps presse, et que si j’avais voulu limer, polir, achever avant d’avoir consulté, j’aurais attendu un an, et je n’aurais été sûr de rien ; mais en envoyant mes esquisses, et en en recevant les critiques de l’Académie, je vois la manière dont on pense, je m’y conforme, je marche d’un pas plus sûr.

Il y avait dans mes petits papiers : « L’abbé d’Aubignac, savant sans génie, et Lamotte, homme d’esprit sans érudition, ont voulu faire des tragédies en prose. » Un jeune homme du métier, qui a copié cela, s’est diverti à ôter le génie à Lamotte, et je ne m’en suis aperçu que quand on m’a renvoyé mon cahier[3].

Il y a souvent des notes trop dures ; je me suis laissé emporter à trop d’indignation contre les fadeurs de César et de Cléopâtre dans Pompée, et contre le rôle de Félix dans Polyeucte. Il faut être juste, mais il faut être poli, et dire la vérité avec douceur.

N. B. Je suis à Ferney, à deux lieues de Genève. Les Cramer préparent tout pour l’édition, et je travaille autant que ma santé peut me le permettre.

Ils ne donneront leur programme que lorsqu’ils commenceront à imprimer ; ils n’imprimeront que quand les estampes seront assez avancées pour que rien ne languisse.

J’ai peur qu’il n’y ait quatorze volumes in-8°, avec trente-trois estampes. Deux louis, c’est trop peu ; mais les Cramer n’en prendront jamais davantage ; le bénéfice ne peut venir que du roi, de la czarine, du duc de Parme, de nos princes, etc., comme je l’ai déjà mandé[4]. Si mes respectables et bons confrères veulent continuer à me marginer, tout ira bien. Respects et remerciements.

  1. 1663-64, deux volumes in-folio.
  2. Voyez tome XX, page 266.
  3. Ce passage n’est pas dans le Commentaire sur Corneille ; dans ses remarques sur Œdipe, Voltaire nomme deux fois d’Aubignac (voyez tome XXXII, pages 158 et 164). Lamotte ayant fait un Œdipe en prose, c’est peut-être dans l’une des remarques sur l’Œdipe de Corneille que venait la phrase sur d’Aubignac et Lamotte. Voltaire a parlé depuis de ces deux auteurs dans l’article Rime de ses Questions sur l’Encyclopédie ; voyez tome XX, page 373.
  4. Voyez la lettre 4644.