Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4574

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 324-325).

4574. — À M. DAMILAVILLE.
15 juin.

Il ne faut pas rire ; rien n’est plus certain que c’est un homme de l’Académie de Dijon[1] qui a fait cette drôlerie[2]. Il est fort connu de Mme Denis ; et cette Mme Denis, quoique fort douce, mangerait les yeux de quiconque voudrait supprimer la tirade des romans, surtout dans un second acte[3].

J’ai trouvé, moi qui suis très-pudibond, que les jeunes demoiselles que leurs prudentes mères mènent à la Comédie pourraient rougir d’entendre un bailli qui interroge Colette, et qui lui demande si elle est grosse. Je prierai mon Dijonnais d’adoucir l’interrogatoire.

Je remercie infiniment M. Diderot de m’envoyer un bailli qui sans doute vaudra mieux que celui de la pièce. Je crois qu’il faut qu’il soit avocat, ou du moins qu’il soit en état d’être reçu au parlement de Dijon ; en ce cas, je l’adresserais à mon conseiller, qui me doit au moins le service de protéger mon bailli. Sûrement un homme envoyé par M. Diderot est un philosophe et un homme aimable. Il pourrait aisément être juge de sept ou huit terres dans le pays, ce qui serait un petit établissement.

Je ne sais pas trop comment frère Thieriot s’ajuste avec les excommuniés du sieur Le Dain[4] ; frère Thieriot ne doit pas paraître : je m’en rapporte à lui, il est sage.

J’ai mis mes prêtres à la raison, évêque, official, promoteur, jésuite ; je les ai tous battus, et je bâtis mon église comme je le veux, et non comme ils le voulaient. Quand j’aurai mon bailli philosophe, je les rangerai tous. Je suis bienfaiteur de l’Église ; je veux m’en faire craindre et aimer.

Je lève les mains au ciel pour le salut des frères.

J’ai eu aujourd’hui à dîner un M. Poinsinet revenant d’Italie. Fratres, qui est ce M. Poinsinet[5] ? Il m’a récité d’assez passables vers. Valete, fratres. Frère Thieriot a-t-il le diable au corps de vouloir qu’on imprime la Conversation du cher Grizel ?

Je plains ce pauvre Tèrée[6] ; il est triste que Philomèle soit mal reçue au mois de mai. On disait que ce M. Lemierre était un bon ennemi de l’inf… ; courage ! qu’il ne se rebute pas, et confusion aux fanatiques, ennemis de la raison et de l’État !

  1. Voltaire y avait été élu le 3 avril 1761.
  2. Il s’agit toujours du Droit du Seigneur.
  3. Voyez tome VI, page 28.
  4. Les comédiens ; voyez tome XIV, page 239.
  5. Antoine-Alexandre-Henri, né à Fontainebleau en 1735, mort en 1769, auteur de la comédie du Cercle.
  6. Cette tragédie de Lemierre n’avait pas réussi.