Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4535

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 286-287).

4535. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Ferney, par Genève, 27 avril.

J’envoie à mes anges un morceau scientifique[1], en réponse à la généreuse lettre de M. le duc de La Vallière. Je crois que Thieriot fera imprimer tout cela pour l’édification du prochain ; mais si Thieriot n’a pas assez de crédit, je me mets toujours sous les ailes de mes anges. Je ne suis pas fâché de faire voir tout doucement que le théâtre est plus ancien que la chaire, et qu’il vaut mieux.

Je ne sais qui a fait la Consultation de Mlle Clairon à un avocat. Je ne connaissais pas l’anecdote du reposoir et des mille écus ; je vois qu’on ne fait rien sur la terre, en enfer, et au ciel, que pour de l’argent ; une religion qui veut attacher de l’infamie à Cinna est elle-même ce qu’il y a de plus infâme. Il faut pourtant ne pas se mettre en colère ; mais comment lire, sans se fâcher, le détestable style du détestable avocat qui a fait un mémoire si inlisible ?

Ou me mande qu’on n’entend pas un mot de ce que dit Lekain, qu’il étouffe de graisse, et que les autres acteurs, excepté Mlle Clairon, font étouffer d’ennui : cela est-il vrai ? J’en serais fâché pour Oreste. Daignez-vous toujours aimer cet Oreste ? Conservez au moins vos bontés pour celui qui a purgé ce beau sujet des amours ridicules qui l’avaient défiguré.

J’ai peur que le congrès ne commence tard, et que la guerre ne dure longtemps.

M. de Ximenès achève de se ruiner à faire jouer son Don Carlos à Lyon, et moi, à bâtir une église. Comme le monde est fait !

  1. C’est la lettre 4531.