Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4523

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 266-267).

4523. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Ferney, 11 avril.

Personne au monde n’a jamais adressé plus de prières que moi à ses anges gardiens. Ce Tancrède est, dit-on, rejoué et reçu avec quelque indulgence, comme une pièce à laquelle vos bons avis ont ôté quelques défauts, et on pardonne à ceux qui restent ; mais je ne reçois ni l’exemplaire de Tancrède ni celui de l’Apologie[1] de mes maîtres contre les Anglais. Vous m’avouerez, mes anges, que cela n’est pas juste. Souffrez que je recommande encore Oreste à vos bontés : voyez si ces petits changements que je vous envoie sont admissibles.

J’ai une autre supplique à présenter : le petit Prault, qui ne m’a pas envoyé un Tancrède, n’a pas mieux traité Mme de Pompadour et M. le duc de Choiseul, malgré toutes ses promesses. Je soupçonne qu’ils n’en sont pas trop contents, et qu’ils croient que j’ai manqué à mon devoir. Ils ne peuvent savoir que je ne me suis pas mêlé de l’édition. Il eût été assez placé que Lekain ou Mlle Clairon eût présenté l’ouvrage. Tout le fruit que j’ai recueilli de mes peines aura été, peut-être, de déplaire à ceux dont je voulais mériter la bienveillance, et d’être immolé à une parodie : tout cela est l’état du métier. Ne vaut-il pas mieux planter, semer, et bâtir ?

J’ai écrit en dernier lieu à M. le duc de Choiseul une lettre[2] dont il a dû être content. Je crois bien que le fardeau immense[3] dont il est chargé ne lui permet pas de faire réponse à des gens aussi inutiles que moi ; il y avait pourtant dans ma lettre quelque chose d’utile. Enfin je demande en grâce à M. d’Argcntal de m’apprendre si je suis en grâce auprès de son ami.

Malgré les petits désagréments que j’essuie sur Tancrède, j’ai toujours du goût pour Oreste. Ce serait une action digne de mes anges de faire enfin triompher la simplicité de Sophocle des cabales des soldats de Corbulon[4].

Mille tendres respects.

  1. Appel à toutes les nations de l’Europe ; voyez tome XXIV, page 191.
  2. Elle manque. (B.)
  3. Le ministère des affaires étrangères et celui de la guerre, qu’il réunissait.
  4. Voyez la note, tome XXXVII, page 406.