Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4507

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 252-253).

4507. — À MADAME DE FONTAINE[1].

Puisque vous aimez la campagne, ma chère nièce, je vous envoie la petite Épître adressée à votre sœur sur l’Agriculture. Le droit de champart, et tous les droits seigneuriaux que vous avez, ne sont pas si favorables à la poésie que la charrue et les moutons. Virgile a chanté les troupeaux et les abeilles, et n’a jamais parlé du droit de champart. Je vous ferai une épître pour vous confirmer dans le juste mépris que vous semblez avoir pour le tumulte et les inutilités de Paris, et dans votre heureux goût pour les douceurs de la retraite.

Il est vrai que Ferney est devenu un des séjours les plus riants de la terre. Je joins à l’agrément d’avoir un château d’une jolie structure, et celui d’avoir planté des jardins singuliers, le plaisir solide d’être utile au pays que j’ai choisi pour ma retraite. J’ai obtenu du conseil le dessèchement des marais qui infectaient la province, et qui y portaient la stérilité. J’ai fait défricher des bruyères immenses ; en un mot, j’ai mis en pratique toute la théorie de mon Épître. Si vous ne venez pas voir cette terre, qui doit vous appartenir un jour, je vous avertis que je viendrai bouleverser Hornoy, y planter, et y bâtir : car il faut que je me serve de la truelle ou de la plume.

Lekain devait venir jouer la comédie avec nous à Pâques ; mais il m’a fallu communier sans jouer. J’ai édifié mes paroissiens, au lieu de les amuser ; et M. de Richelieu s’est avisé de mettre Lekain en pénitence dans ce saint temps.

Je veux vous donner avis de tout. L’impératrice de Russie m’avait envoyé son portrait avec de gros diamants : le paquet a été volé sur la route. J’ai du moins une souveraine de deux mille lieues de pays dans mon parti : cela console des cris des polissons. Ma chère nièce, je fais encore plus de cas de votre amitié.

Adieu ; j’embrasse tout ce que vous aimez[2].

  1. Dans toutes les éditions de Voltaire cette lettre est datée du 1er février. C’est une erreur. Elle ne peut être que de la fin de mars. (G. A.)
  2. On avait cousu à cette lettre deux alinéas d’une autre lettre qui est du commencement de l’année 1762, où on les retrouvera.