Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4461

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 204-205).

4461. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
11 février.

Voilà le cas de mourir ; tout abandonne Voltaire. Voltaire a écrit deux lettres[1] à M. le duc de Choiseul : point de réponse. Je lui pardonne ; il est surchargé. Petit-fils Prault n’a pas daigné m’envoyer un Tancrède ; je ne lui pardonne pas. Mais que mes anges ne m’instruisent ni de la santé de Mlle Clairon, ni d’aucune particularité du tripot, ni du retour de M. de Richelieu, ni de la façon dont certaine épître dédicatoire[2] a été reçue, ni de l’unique représentation de la Chevalerie, ni du Père de famille : c’est le comble du malheur. À quoi dois-je attribuer ce détestable silence ? Mon cher ange a-t-il toujours mal aux yeux, comme moi à tout mon corps ? Le secrétaire[3] que je préfère à tous les secrétaires d’État serait-il malade ou serait-elle malade ? Mes anges sont-ils absorbés dans la lecture du roman de Jean-Jacques[4], ou de celui de La Popelinière[5] ? Chacun se peint dans ses romans. Le héros de La Popelinière est un homme auquel il faut un sérail ; celui de Jean-Jacques est un précepteur qui prend le pucelage de son écolière pour ses gages. Si jamais M. d’Argental fait un roman, il prendra pour son héros un homme aimable qui saura aimer, mais qui laissera languir son ancien ami dans l’attente d’une de ses lettres.

Hélas ! j’écris, mais avec bien de la peine ; ma main pèse deux cents livres, ma tête aussi. Je ne sais ce que j’ai ; vraiment, je suis bien loin de faire une tragédie. La vie est trop courte. Puisse la vôtre être bien longue, ô mes divins anges !

  1. Elles sont perdues.
  2. Celle de Tancrède, que Voltaire appelle souvent la Chevalerie.
  3. Mme d’Argental.
  4. La Nouvelle Héloïse.
  5. Voyez la lettre suivante.