Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4415

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 146-147).

4415. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
À Ferney, 13 janvier.

Pardon, madame, pardon : j’ai eu des jésuites à chasser d’un bien qu’ils avaient usurpé sur des gentilshommes de mon voisinage ; j’ai eu un curé à faire condamner. Ces bonnes œuvres ont pris mon temps. Je commence à espérer beaucoup de la France sur terre, car sur mer je l’abandonne. On paye les rentes, on éteint quelques dettes. Il y a de l’ordre, malgré toutes nos énormes sottises. J’ai peine à croire qu’on ôte le commandement à M. le maréchal de Broglie. Il me semble qu’il s’est très-bien conduit en conservant Gœttingue.

Avez-vous, madame, M. le comte de Lutzelbourg auprès de vous ? Comment vous trouvez-vous du vent du nord ? C’est, je crois, votre seul ennemi. Songez, madame, que l’hiver de la vie, qui est si dur, si désagréable pour tant de personnes, et auquel même il est si rare d’arriver, est pour vous une saison qui a encore des fleurs. Vous avez la santé du corps et de l’esprit. Il est vrai que vous écrivez comme un chat ; mais dans vos plus beaux jours vous n’eûtes jamais une plus belle main. Voyez-vous quelquefois M. de Lucé[1] ? Seriez-vous assez bonne, madame, pour me rappeler à son souvenir ?

Madame la marquise[2] est donc impitoyable, ou vous ? Je n’aurai donc pas copie de son portrait ?

Vivez heureuse et longtemps, madame ; nous vous souhaitons, ma nièce et moi, ces deux petites bagatelles de tout notre cœur.

Mille respects. V.

  1. Ministre du roi de France auprès de Stanislas. Le comte de Lucé fut un des membres honoraires de l’Académie de Nancy.
  2. La marquise de Pompadour.