Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4352

Correspondance : année 1760
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 80).

4352. — À M. LE COMTE ALGAROTTI.
À Ferney, 28 novembre.

Un de mes chagrins, monsieur, ou plutôt mon seul chagrin, est de ne pouvoir vous écrire de ma main combien vous êtes aimable. Vous parlez d’Horace[1] comme un homme qui aurait été son intime ami, comme si vous aviez vécu de son temps. Il est juste qu’on connaisse à fond les caractères auxquels on ressemble. Pour César, j’imagine que vous auriez fait un voyage dans nos Gaules avec le fils de Cicéron, au lieu d’aller à Pétersbourg, et que vous l’auriez empêché de se brouiller avec Labiénus. Je ne sais comment vous faites votre compte, mais on croirait que vous avez vécu familièrement avec tous ces gens-là.

Je vous fais encore de très-sérieux remerciements sur votre Voyage de Russie[2]. Il y a toujours quelque chose à apprendre avec vous, de la zone tempérée à la zone glaciale.

J’ai eu l’honneur de vous envoyer la première partie de l’Histoire du czar, et c’est probablement celle que vous avez. Vous me permettrez, s’il vous plaît, de vous citer dans la seconde ; j’aime à me faire honneur de mes garants ; il y a plaisir à rendre justice à des contemporains tels que vous. D’ailleurs l’histoire d’un fondateur est pour les sages ; et l’Histoire de Charles XII plairait aux amateurs des romans, si ce don Quichotte, au moins, avait eu une Dulcinée. On n’a aujourd’hui à écrire que des massacres en Allemagne, des processions à Rome, et des facéties à Paris.


Lætus sum, non validus, sed tui amantissimus.

  1. L’Essai sur Horace d’Algarotti a été traduit à la tête des Chefs-d’œuvre d’Horace ; Lyon, 1787, deux volumes in-12.
  2. Voyez la note 2, tome XL, page 533.