Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4252

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 532-533).

4252. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
Aux Délices, 12 septembre.

Vous êtes un grand et aimable enfant, madame ; comment n’avez-vous pas senti que je pense comme vous[1] ? Mais songez que je suis d’un parti, et d’un parti persécuté, qui, tout persécuté qu’il est, a pourtant obtenu, à la fin, le plus grand avantage qu’on puisse avoir sur ses ennemis, celui de les rendre à la fois ridicules et odieux.

Vous sentez donc ce qu’on doit aux gens de son parti ; M. le duc d’Orléans disait qu’il fallait avoir la foi des Bohèmes.

Je ne sais si vous avez vu une lettre de moi au roi de Pologne Stanislas[2] ; elle court le monde : c’est pour le remercier d’un livre qu’il a fait de moitié avec le cher frère Menoux, intitulé l’Incrédulité combattue par le simple… bon sens.

Si vous ne l’avez point, je vous l’enverrai, et je chercherai d’ailleurs, madame, tout ce qui pourra vous amuser : car c’est à l’amusement qu’il faut toujours revenir, et sans ce point-là l’existence serait à charge. C’est ce qui fait que les cartes emploient le loisir de la prétendue bonne compagnie, d’un bout de l’Europe à l’autre ; c’est ce qui fait vendre tant de romans. On ne peut guère rester sérieusement avec soi-même. Si la nature ne nous avait faits un peu frivoles, nous serions très-malheureux ; c’est parce qu’on est frivole, que la plupart des gens ne se pendent pas.

Je vous adresserai, dans quelque temps, un exemplaire de l’Histoire de toutes les Russies. Il y a une Préface à faire pouffer de rire, qui vous consolera de l’ennui du livre.

Adieu, madame ; je suis malade, portez-vous bien. Soyez aussi gaie que votre état le permet, et ne boudez plus votre ancien ami, qui vous est tendrement attaché pour toujours.

  1. Ceci concerne nombre d’auteurs que Voltaire honorait de sa protection, et que Mme du Defifant disait fort ennuyeux et fort orgueilleux, dans la lettre écrite par elle à l’Ermite des Délices, le 5 septembre 1760.
  2. Voyez n° 4230.