Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4224

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 504-505).

4224. — À M. THIERIOT.
Le 11 auguste ; fi ! que août est barbare !

À peine eus-je écrit à l’ancien ami pour avoir des nouvelles, que Dieu m’exauça, et je reçus sa lettre du 30 juillet, dans laquelle il me parlait de la libération de l’abbé Mords-les, et de l’Ecossaise, et de Catherine Vadè, et d’Alethof, etc. M. d’Argental est celui qui a le plus contribué[1] à nous rendre notre Mords-les. J’ai écrit tous les jours de poste, j’ai toujours été la mouche du coche ; mais je bourdonne de si loin qu’à peine m’entend-on.

Oui, j’ai mon Moïse complet. Il a fait le Pentateuque comme vous et moi ; mais qu’importe ? ce livre est cent fois plus amusant qu’Homère, et je le relis sans cesse avec un ébahissement nouveau.

Vous auriez bien dû cependant m’envoyer l’édition de mon commerce épistolaire avec le divin Palissot ; je veux voir si le texte est pur.

Il se montre donc, ce cher Palissot ! il exulte en public ! Il ne sait donc pas que sa pièce des Philosophes est de frigidis !

Mon ancien ami, il y a trois mois que je crève de rire, en me levant et en me couchant. C’est d’ailleurs un drôle de corps que notre ami Protagoras ; il est têtu comme une mule. Il est tout plein d’esprit ; il a toutes sortes d’esprit ; il est gai, il est charmant. Il n’ira point en Brandebourg, de par tous les diables, car Luc est aux abois ; sa tentative sur Dresde n’est qu’un coup de désespéré. Quomodo cecidisti de cœlo, Lucifer, qui mane oriebaris[2] ! Ô Luc ! l’aurais-tu cru que je serais cent fois plus heureux que toi !

Mon ancien ami, il faut que nous nous revoyions avant d’aller trouver Virgile et l’abbé Pellegrin dans l’autre monde.

Qu’est-ce que vous faites chez le médecin Baron[3] ? Venez aux Délices : elles sont plus riantes que la rue Culture-Sainte-Catherine.

N. B. Souvenez-vous que je me ruine à bâtir une église ; je veux qu’Abraham Chaumeix et ses consorts en sèchent de douleur. Ils me verront enterrer dans le chœur, avec une auréole sur la tête ; ils seront bien attrapés. Intérim, vivamus.

P. S. Je viens de recevoir mes Lettres à Palissot, avec les réponses, au lieu des lettres de Palissot avec mes réponses ; ce Palissot est un peu infidèle.

  1. J.-J. Rousseau y avait contribué aussi par la duchesse de Luxembourg ; mais il paraît que l’accélération de la mise en liberté de Morellet (le 30 juillet) fut due particulièrement à un de ses cousins, ancien camarade de collège du lieutenant général de police de Sartine. — Voyez l’Histoire de la détention des Philosophes, par J. Delort, tome II, page 336.
  2. Isaïe, chap. xiv, v. 12.
  3. Hyacinthe-Théodore Baron, habile médecin, mort à Paris en 1787.