Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4183

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 455-456).

4183. — AU PÈRE DE MENOUX[1].
11 juillet.

En vous remerciant du Discours royal[2] et de vos quatre lignes.

Mettez-moi, je vous prie, aux pieds du roi ad multos annos.

Envoyez surtout beaucoup d’exemplaires en Turquie, ou chez les athées de la Chine : car, en France, je ne connais que des chrétiens. Il est vrai que, parmi ces chrétiens, on se mange le blanc des yeux pour la grâce efficace et versatile, pour Pasquier-Quesnel et Molina, pour des billets de confession. Priez le roi de Pologne d’écrire contre ces sottises, qui sont le fléau de la société : elles ne sont certainement bonnes ni pour ce monde ni pour l’autre.

Berthier est un fou et un opiniâtre, qui parle à tort et à travers de ce qu’il n’entend point. Pour le révérend père colonel de mon ami Candide, avouez qu’il vous a fait rire, et moi aussi. Et vous, qui parlez, vous seriez le révérend père colonel dans l’occasion, et je suis sûr que vous vous en tireriez bien, et que vous auriez très-bon air à la tête de deux mille hommes.

Je suis très-fàché que votre palais de Nancy soit si loin de mes châteaux, car je serais fort aise de vous voir ; nous avons, l’un et l’autre, d’excellent vin de Bourgogne, nous le boirions au lieu de disputer.

Une dévote en colère disait à sa voisine : « Je te casserai la tête avec ma marmite. — Qu’as-tu dans ta marmite ? dit l’autre. — Un bon chapon, répondit la dévote, — Eh bien ! mangeons-le ensemble, » dit la bonne femme.

Voilà comme on en devrait user. Vous êtes tous de grands fous, molinistes, jansénistes, encyclopédistes. Il n’y a que mon cher Menoux de sage ; il est à son aise, bien logé, et boit de bon vin. J’en fais autant ; mais, étant plus libre que vous, je suis plus heureux. Il y a une tragédie anglaise qui commence par ces mots : Mets de l’argent dans ta poche, et moque-toi du reste. Cela n’est pas tragique, mais cela est fort sensé. Bonsoir. Ce monde-ci est une grande table où les gens d’esprit font bonne chère ; les miettes sont pour les sots, et certainement vous êtes homme d’esprit. Je voudrais que vous m’aimassiez, car je vous aime.

  1. Voyez tome XXXVIII, page 170.
  2. L’Incrédulité combattue par le bon sens ; Essai philosophique par un roi, 1760, in-12, et qui fait partie des Œuvres du philosophe bienfaisant (Stanislas), 1763, quatre volumes in-8o et in-12, était regardé, par Voltaire, comme un ouvrage de la façon du Père de Menoux (voyez lettre 4238).