Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4175

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 446-449).

4175. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
6 juillet.

Mon cher ange, il faut faire ses foins et ses moissons à la fois, veiller à son bâtiment, apprendre ses rôles pour les comédies que nous allons jouer, avoir une correspondance suivie avec ma cousine Vadé, avec M. de Kouranskoy, cousin germain de M. Alethof, avec le frère de la Doctrine chrétienne, auteur de la Vanité. Cependant M. de Courteilles, qui s’en va aux eaux de Vichy, me laisse en proie aux publicains maudits dans l’Écriture ; et, quoiqu’il soit démontré que je ne suis point seigneur de la Perrière, on veut me faire payer les dettes du roi ; Lefranc de Pompignan ne me traiterait pas plus rudement. M. le duc de Richelieu s’enfuit à Bordeaux sans me faire réponse, et sans m’envoyer un passe-port que je lui ai demandé pour un pauvre diable de Gascon hérétique ; et voilà mon hérétique sur le point d’être ruiné. Malgré tout cela, mon divin ange, voici encore quelques corrections nécessaires que le traducteur de M. Hume vous envoie. Maître Aliboron, dit Fréron, est un ignorant bien impudent de dire que le poëte-prêtre Hume n’est pas frère de Hume l’athée ; il ne sait pas que Hume le prêtre a dédié une de ses pièces à son frère.

J’avais tant crié après le Mémoire du sieur Lefranc de Pompignan qu’on m’en a envoyé trois par la dernière poste. Heureusement le frère de la Doctrine chrétienne, et M. de Kouranskoy, cousin germain de M. Alethof, en avaient chacun un.

Mon divin ange, je ne peux regarder Médime d’un mois. Il ne faut pas se morfondre et s’appesantir sur son ouvrage ; cela glace l’imagination.

À la façon dont vous parlez, on dirait que Mme de Robecq est morte[1] ; j’en suis fâché ; la mort d’une belle femme est toujours un grand mal. Est-il vrai que Mme du Deffant prend parti contre la philosophie, et qu’elle m’abandonne indignement ? Comment suis-je auprès de M. le duc de Choiseul ? a-t-il fait voir à Mme de Pompadour l’élucubration de M. de Kouranskoy ?

Je vous conjure de vous servir de toute votre éloquence pour lui dire que, s’il arrive malheur à Luc, il n’en résultera pas malheur à la France ; que le Brandebourg restera toujours un électorat ; qu’il est bon qu’il n’y ait pas d’électeur assez puissant pour se passer de la protection du roi ; que tous les princes de l’empire auront toujours recours à cette protection contra l’aquila grifagna[2].

Nota bene que si Luc était déconfit cette année, nous aurions la paix l’hiver prochain.

Mlle Vadé se recommande à Robin-mouton[3].

Mon divin ange, donnez des copies de ma lettre paternelle à Palissot[4]. Où est donc la difficulté de mettre trois étoiles au lieu de votre nom, de dire la personne à qui je me suis adressé, ou de mettre tout ce qui vous plaira ?

Mais revenons à l’Écossaise. Qui sont donc les malintentionnés qui prétendent que ce n’est pas une traduction, et qui veulent la mettre sous mon nom, pour la faire tomber ? Ah ! les méchantes gens !

Il y a encore des malvivants qui prétendent que je ne suis pas chez moi de mon bon gré[5], qui l’impriment, qui veulent le faire croire ; fi, que cela est vilain ! Il faut bien dire, bien soutenir qu’il ne tient qu’à moi d’aller rire à leur nez, à Paris ; mais que j’aime mille fois mieux rire où je suis ; il faut qu’ils sachent que je suis heureux, et qu’ils crèvent.

Il y a plus de deux mois qu’on m’a envoyé l’épigramme assez plate contre Fréron. Je joins à mon paquet les lettres originales de l’ami Palissot. Je vous prierai d’avoir la bonté de me les renvoyer.

J’ajoute, mon divin ange, que le commentateur de M. Alethof s’est trompé dans ses notes. Il faut mettre le 14[6] au lieu du 10, jour de l’anniversaire de Henri IV.

Mme Scaliger n’aurait pas fait cette faute. Je lui présente mes tendres respects, et me réjouis de sa santé ; et je vous aime encore plus que de coutume.

Un petit mot encore. Pourquoi changer le nom de Frelon ? Est-ce la faute de Hume s’il y a un cuistre dans Paris qui porte un nom, lequel a un rapport éloigné au mot de frelon ? De plus, songeons que, s’il est bon de rire, il est meilleur de rire aux dépens des méchants. Mais ce petit hypocrite de Joly de Fleury, ce petit ballon noir, gonflé de vapeurs puantes, aura son tour[7], si Dieu n’y met la main.

Vous a-t-on dit que cette grosse masse de chair fraîche, nommée le landgrave de Hesse, est en prison à Stade ?

J’entends murmurer la prise de Marbourg. On ne saura que demain si la chose est vraie.

L’oncle et la nièce baisent le bout de vos ailes.

  1. La princesse de Robecq était morte depuis deux jours quand Voltaire écrivait ; voyez tome XXXIX, page 245.
  2. C’est Louis Alamanni qui, dans un dialogue allégorique entre le coq et l’aigle, a dit :
    ..........aquila grifagna
    Che per più divorar duo becchi porta.
  3. Le libraire Robin, mis en prison comme vendeur et distributeur de la Vision de Charles Palissot, en était sorti le 25 juin précédent.
  4. Lettre 4163.
  5. Voyez ci-après la lettre à lord Lyttelton, du mois de septembre 1760.
  6. Voyez les additions à l’une des Notes du Russe à Paris, tome X.
  7. Voyez, tome X, l’Épitre à Mlle Clairon, du 1er janvier 1761.