Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4145

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 412-414).

4145. — À M. THIERIOT.
9 juin.

J’ai reçu, mon cher et ancien ami, toutes les archives de l’esprit et de la raison, de l’horreur et de la méchanceté, du pour et du contre, de la persécution contre les philosophes, et de leur juste défense ; il me manque la Vision[1]. On dit qu’il y a des Pourquoi, des Oui et des Non nouveaux, qui sont aussi bons que les Que ; je les attends aussi. Il faut que j’aie toutes les pièces du procès ; il est intéressant.

J’étais dans un bosquet de roses quand je reçus votre paquet ; je me flatte que je ne sentirai pas les épines de cette dispute. Voilà donc Robin-mouton envoyé à la boucherie ! Est-ce pour la Vision qu’on a saisi Robin ? et cette Vision est-elle bien de Grimm ? Je soupçonne que Grimm est de la troupe des prophètes, mais que l’esprit ne descend pas sur lui seul.

Il serait bien à désirer que les frères fussent unis : ils écraseraient leurs indignes adversaires, qui les mangent l’un après l’autre. Il faudrait que les Da[2], Dé, Di, Do, Du, les H, les G, etc., soupassent tous ensemble deux fois par semaine.

Mes enfants, aimez-vous les uns les autres[3], si vous pouvez. Votre ennemi vous a dit, ou plutôt redit,


Que nous sommes perdus si nous nous divisons[4].


Par quelle dure fatalité arrive-t-il que j’aie la réponse de Ramponeau[5], et que je n’aie pas le factum de M. de Beaumont[6] contre Ramponeau ? Il n’y avait qu’un exemplaire de ce factum dans notre petite province ; je ne l’ai tenu qu’un instant. Je l’ai lu rapidement, mais avec grand plaisir, et j’ai eu la bêtise honnête de le rendre. Voyez combien les philosophes sont honnêtes gens, quoi qu’en dise Palissot !

Je vous envoie la seule copie de la réponse que j’aie en main : elle est d’un homme de l’Académie de Dijon ; cela m’a paru gai, et je n’aime plus que ce qui est gai. Je veux passer, encore une fois, le reste de ma vie à lire et à rire.

Vous trouverez sans doute quelque bon citoyen qui se fera un plaisir de publier le Plaidoyer de Ramponeau. Je voudrais avoir de plus belles choses à vous envoyer, et de plus longues ; mais il vient rarement de bonnes choses de la province.

Les Fétiches[7] du président de Brosses n’ont pas eu grand cours ; le Discours même du président de Montauban[8] n’est pas recherché. C’est la pierre sur laquelle on va aiguiser ses couteaux ; mais, pour la pierre, elle est au rebut.

La Préface[9] de Palissot est pire que son ouvrage. Il impute aux encyclopédistes des passages de La Mettrie ; passages horribles, mais que La Mettrie lui-même réfute. Il supprime la réfutation. Il présente ce poison à la cour, pour faire croire que ce sont nos philosophes qui l’ont apprêté. Je n’ai point ce livre de La Mettrie, de la Vie heureuse. Pouvez-vous me faire avoir toutes les œuvres de ce fou ? Vous devriez courir chez M. d’Alembert, qui ne sait pas peut-être combien ces passages sont altérés : car ce livre est, je crois, très-rare. Je pense qu’il faudrait faire un ouvrage sage, ferme et piquant, où tous les tours de mauvaise foi des ennemis fussent relevés. Qui le peut mieux que M. d’Alembert ? Mais ce pauvre Robin[10], ce pauvre Robin-mouton ! Pour Dieu, envoyez-moi la Vision.

  1. Préface de la comédie des Philosophes, ou la Vision de Charles Palissot. — Cette brochure de l’abbé Morellet, dans laquelle la princesse de Robecq était nommée, fit mettre son auteur à la Bastille le 11 juin. Il en sortit le 30 juillet suivant. Robin, libraire au Palais-Royal, qui avait vendu et distribué un grand nombre d’exemplaires de cette Préface, fut mis en prison dès le 31 mai ; mais il en sortit le 25 juin. (Cl.)
  2. D’Alembert…, Diderot…, Duclos, et autres philosophes. — Les initiales H et G désignent Helvétius et Grimm.
  3. « Hæc mando vobis, ut diligatis invicem. » (Paroles de saint Jean, chap. xv, v. 17.)
  4. Vers de la comédie des Philosophes, acte III, scène iii.
  5. Voyez tome XXIV, page 115.
  6. Voyez la note, tome XXIV, page 115.
  7. Du Culte des dieux fétiches, ou Parallèle de l’ancienne religion d’Egypte avec la religion actuelle de Nigritie, 1760, in-12.
  8. Lefranc de Pompignan.
  9. Palissot venait de publier Lettre de l’auteur de la comédie des Philosophes au public, pour servir de préface à la pièce, in-12 de vingt-trois pages.
  10. Libraire ; voyez la note 1 de la page 412.