Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4122

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 388-389).

4122. — À M. JEAN SCHOUVALOW.
Tournay, par Genève, 14 mai.

Monsieur, j’ai reçu aujourd’hui, par les mains du jeune M. de Soltikof, les deux mémoires dont Votre Excellence a bien voulu le charger pour moi. Je me flatte que je recevrai autant d’instructions sur les affaires et sur la guerre que j’en reçois sur les moines et sur les religieuses. Je présume, monsieur, que vous avez reçu à présent le volume qui va jusqu’à Pultava, et que vous ne laisserez point imparfait le bâtiment que vous avez élevé. Quoique j’aie suivi en tout, dans ce premier volume, les mémoires authentiques que j’ai entre les mains, cependant si je me suis trompé en quelque chose, ou même si j’ai dit quelques vérités que le temps présent ne permette pas de mettre au jour, il sera aisé de substituer d’autres pages aux pages que vous croirez devoir être réformées. Cette histoire est votre ouvrage plutôt que le mien ; il ne doit paraître que sous vos auspices : ainsi tout doit être muni du sceau de votre approbation. Je suis bien persuadé que vous n’aurez point de vains scrupules ; votre esprit juste en est incapable. Vous savez mieux que moi ce que je vous ai toujours dit, que l’histoire ne doit être ni une satire, ni un panégyrique, ni une gazette. Il faut surtout que l’histoire puisse fouiller dans le cabinet, sans pourtant abuser de cette permission.

J’espère que la paix de l’Europe, qui ne peut nous être donnée que par vos armes victorieuses, sera l’époque de la publication de l’Histoire de Pierre le Grand. Ce sera une grande consolation pour moi de servir à réfuter les calomnies odieuses dont on a osé noircir depuis ce héros de votre nation. Mais je suis bien vieux et bien infirme ; il faut que je me hâte et ne meure point avec le regret de n’avoir point achevé ce que vous avez fait commencer. Je suis toujours à vos ordres.

J’ai l’honneur d’être, avec les plus respectueux sentiments, etc.


V.