Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4090

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 347-348).

4090. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 12 avril.

Mon divin ange, je suis bien faible, je vieillis beaucoup, mais il faut aimer le tripot jusqu’au dernier moment. Voici une pièce[1] de Jodelle, ajustée par un petit Hurtaud, que je vous envoie ; mais vous comprenez bien que je ne vous l’envoie pas, et que jamais on ne doit savoir que vous vous êtes mêlé de favoriser ce petit Hurtaud. Je pense que cela vaut mieux que de donner ces Chevaliers, qui, malheureusement, passent pour être de moi. Le plaisir du secret, de l’incognito, de la surprise, est quelque chose. Vous savez ce que c’était que le droit du seigneur ; je ne l’ai pas dans mes terres, et il ne me servirait à rien. Il me paraît que ce petit Hurtaud a traité la chose avec décence. J’ai seulement remarqué dans la pièce le mot de sacrement[2] ; j’ignore si ce mot divin peut passer dans une comédie sans encourir l’excommunication majeure. Je ne suis pas assez hardi pour corriger les vers de Hurtaud, mais on peut bien mettre votre engagement au lieu de votre sacrement ; c’est, je crois, au premier acte, autant qu’il peut m’en souvenir.

Mettrez-vous M. le duc de Choiseul dans la confidence ? Je le crois à présent plus occupé des Anglais que de ce qui se passait sous Henri II.

Voilà donc deux chants[3] de Pucelle pour les anges. Mais êtes-vous capable de garder le plus grand des secrets ? — Plus que vous, sans doute, m’allez-vous dire.

Oui, je sais bien que j’ai joué Tancrède, et par là je l’ai affiché, il est vrai ; mais je ne pouvais faire autrement. Il fallait essayer sur M. et Mme de Chauvelin cette Chevalerie ; mais ici le cas est différent. Point d’essai, et la chose est beaucoup plus singulière que tous les Chevaliers du monde. Motus, au moins. Et Pondichéry ? Ma foi, je le crois pris comme Surate.

Mon cher ange, nous parlerons une autre fois des Chevaliers. Je crois que monsieur votre frère[4] a raison de ne pas trop aimer Médime ou Fanime.

Mais comment va la santé de Mme Scaliger ? Voilà le point essentiel.

Mon divin ange, vous êtes pour moi le démon de Socrate ; mais son démon se bornait à le retenir, et vous m’inspirez.

  1. Le Droit du Seigneur, que Voltaire dit successivement être de divers auteurs ; voyez tome VI, page 3.
  2. Acte I, scène i, v. 57.
  3. Un de ces chants était peut-être l’esquisse de celui que Voltaire appelle la Capilotade, et qui est aujourd’hui le chant XVIII de la Pucelle. (Cl.)
  4. Pont-de-Veyle.