Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4085

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 344).
4085. — À MADAME BELOT[1].
6 avril, aux Délices.

Vous m’avez pris à votre avantage, madame ; vous êtes une dame d’esprit vous portant bien. Votre imagination est soutenue par les agréments que vous trouvez dans Paris. Mais un pauvre solitaire, vieux et malade, qui a renoncé au monde, ne trouve point dans sa solitude de quoi mériter vos attentions et vos bontés. Je serai très-flatté sans doute que vous daigniez me faire confidence de la comédie que vous faites. Si je Juge de son mérite par celui de vos lettres, cette pièce doit être bien supérieure à celle de Mme de Graffigny. Le public mêla peut-être un peu de politesse aux éloges prodigués à Cénie ; mais à vous, madame, il vous rendra justice. D’ailleurs, n’attendez point de moi des conseils : je ne porte pas l’impudence jusque-là. Je n’ai jamais pu deviner le goût du public dans le peu de temps que j’ai été à Paris ; il m’a paru toujours inconstant et capricieux. Il y a seulement quelques pièges usés, auxquels les cervelles du peuple se laissent toujours prendre, comme les reconnaissances, les lieux communs de morale, les portraits et les petits prestiges du comique larmoyant. Mais je crois que tout cela change à Paris tous les six mois, comme les modes. Un ermite comme moi ne connaît pas plus votre ville que les Parisiens ne connaissent le reste de l’Europe. Je me crois très-étranger, mais je sens que je le suis moins avec vous qu’avec un autre : vous me paraissez, madame, avoir l’esprit de tous les pays.

Je vous demande pardon, madame, de ne vous pas écrire de ma main, étant actuellement très-incommodé.

Pénétré d’estime et de respect pour vous, etc.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.