Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4066

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 324-325).

4066. — À M. LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI.
Aux Délices, 7 mars.

Je reçois, monsieur, la lettre dont vous m’honorez, en date du 20 février ; elle finit par une chose bien agréable. Vous me faites entrevoir que vous pourriez vous arracher quelque jour à la terre sainte pour venir à la terre libre. En ce cas, je vous prierais de vous presser, car il y a quelque petite apparence que je ne serai pas longtemps in terra viventium. Mes maladies augmentent tous les jours. La nature s’est avisée de faire à mon âme un très-mauvais étui ; mais je lui pardonne de tout mon cœur, puisque cela entrait nécessairement dans le plan du meilleur des mondes possibles.

J’ai l’honneur de vous envoyer, comme je peux, par les marchands de Genève, le Bolingbroke[1]. Pour ma tragédie suisse, je ne peux la faire partir, pour deux raisons : la première, parce que je ne la crois point bonne ; la seconde, c’est que, toute mauvaise qu’elle est, mes amis, qui ont la rage du théâtre, veulent la faire jouer à Paris. Mais je vous envoie, en récompense, une comédie[2] qui n’est pas dans le goût français ; je souhaite qu’elle soit dans le vôtre. Les lettres que vous daignez m’écrire me font désirer de vous plaire plus qu’au parterre de notre grande ville.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, sans cérémonie, mais avec la plus grande vérité, votre, etc.

  1. Voltaire faisait passer des ouvrages anglais à Albergati, comme on le voit par la lettre 4195.
  2. La Femme qui a raison.