Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3997

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 254-256).

3997. — À M. LE COMTE ALGAROTTI.
Aux Délices, décembre.

Quando mi capitò la vostra gentile epistola, stavo bene, e ne fui allegro tutto il giorno ; ma sono ricaduto, sto male, e sono pigro, attristato, malinconico, ho tralasciato un mese i miei armenti, e l’istoria, e la poesia, ed ancora voi stesso, cigno di Padova, che cantate adesso sulle sponde del piccol Reno, parvique Bononia Reni. Yi parlerô prima dell" opéra rappresentatanellacortedi Parma,


Che quanto per udita io ve ne parlo ;
Signor, mirasle, e feste altrui mirarla.


Il vostro Saggio sopra l’Opera[1] in musica fu il fondamento della riforma del regno dei castrati. Il legame delle feste e delle azione, a noi Francesi si caro, sarà forse un giorno 1’inviolabil legge dell’ opera italiana[2].

Notre quatrième acte de l’opéra de Roland[3], par exemple, est en ce genre un modèle accompli. Rien n’est si agréable, si heureux que cette fête des bergers qui annoncent à Roland son malheur : ce contraste naturel d’une joie naïve et d’une douleur affreuse est un morceau admirable en tout temps et en tout pays. La musique change, c’est une affaire de goût et de mode ; mais le cœur humain ne change pas. Au reste la musique de Lulli était alors la vôtre ; et pouvait-il, lui qui était un valente buggerone[4] di Firenze, connaître une autre musique que l’italienne ?

Je compte envoyer incessamment à M. Albergati la pièce que j’ai jouée sur mon petit théâtre de Tournay, et qu’il veut bien faire jouer sur le sien, en cas qu’il ne soit point effrayé d’avoir commerce avec une espèce d’hérétique, moitié Français, moitié Suisse. Je crois, messieurs, que, dans le fond du cœur, vous ne valez pas mieux que nous ; mais vous êtes heureusement contraints de faire votre salut.

M. Albergati m’a mandé qu’il avait vraiment une permission de faire venir des livres. O Dio ! o Dii immortales ! Les jacobins avaient-ils quelque intendance sur la bibliothèque d’un sénateur romain ? Yes, good sir, I am free and far more free than all the citizens of Geneva.


Libertas, quæ, sera, tamen respexit…

(Virg., ecl. I, 28.)


sed non inertem. C’est à elle seule qu’il faut dire : Tecum vivere amem, tecum obeam libenter[5]. Cependant j’écris l’histoire du plus despotique bouvier[6] qui ait jamais conduit des bêtes à cornes ; mais il les a changées en hommes. J’ai chez moi, au moment que je vous écris, un jeune Soltikof, neveu de celui qui a battu le roi de Prusse ; il a l’âme d’un Anglais, et l’esprit d’un Italien. Le plus zélé et le plus modeste protecteur des lettres que nous ayons à présent en Europe est M. de Schouvalow, le favori de l’impératrice de Russie : ainsi les arts font le tour du monde.

Niente dal vostro librajo ; ve l’ho detto, è un briccone. Annibal et Brennus passèrent les Alpes moins difficilement que ne font les livres. Intérim, vive felix, and dare to come to us.

  1. Le chevalier de Chastellux a publié une traduction de cet Essai en 1773.
  2. Traduction : Quand je reçus votre gentille lettre, j’étais bien portant, et je lus allègre tout le jour. Mais je suis retombé malade, et redevenu paresseux, triste, mélancolique ; j’ai abandonné mes troupeaux, et l’histoire, et la poésie, et vous-même, cygne de Padoue, qui chantez maintenant sur les bords du petit Reno… Je vous parlerai d’abord de l’opéra représenté à la cour de Parme, quoique je n’en parle que d’après ce que j’en ai oui dire : vous l’avez admiré et l’avez fait admirer. Votre Essai sur l’Opéra a amené la réforme du règne des castrats. Le lien des fêtes et de l’action, si cher à nous autres Français, sera un jour l’inviolable loi de l’opéra italien.
  3. Paroles de Quinault, musique de Lulli ; 1685.
  4. La Fontaine a traduit ce mot dans sa satire intitulée le Florentin, contre Lulli.
  5. Horace, livre III, ode ix, vers 24, dit :

    Tecum vivere amem, tecum obeam libens.

  6. Pierre le Grand.