Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3995

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 252-253).

3995. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, 8 décembre.

Madame, j’ai eu l’honneur d’écrire à Mlle de Pestris ou Pertris[2], à Gotha, par Nuremberg. J’ai peut-être mal orthographié le nom et celui de Mme de Beckolsheim ; mais je me flatte que l’on aura suppléé à l’ignorance d’un pauvre habitant de la Suisse française, et que la lettre aura été rendue. Elle était accompagnée, madame, d’un petit billet d’avis que j’eus l’honneur d’écrire à Votre Altesse sérénissime, touchant votre banquier de Leipsick[3], et son compte était dans une lettre jointe à ce billet d’avis. Votre Altesse sérénissime sait combien les temps sont difficiles. L’argent et les cœurs se resserrent quand la poudre à canon se dilate : c’est une expérience de physique qui n’est aujourd’hui que trop commune. J’ai peur d’ailleurs que votre banquier, madame, n’ait eu trop de confiance, et qu’il n’ait perdu le moment de s’accommoder avec ses créanciers[4]. Et j’avoue que je crains qu’un jour vous ne souffriez quelque perte de la faillite à laquelle il est exposé. Mais les affaires de votre auguste maison sont si bien réglées, votre prudence et celle de monseigneur le duc les gouverne avec une économie si sage, et en même temps si noble, que Vos Altesses sérénissimes ne peuvent souffrir beaucoup des malheurs des particuliers. Pour les affaires publiques, je ne sais rien de nouveau depuis la perte qu’ont faite les Français de leur vaisselle et de leurs flottes. Voilà de bons catholiques privés de morue pour leur carême, et n’ayant plus de castors pour couvrir leurs têtes, qu’on disait légères et qui sont à présent appesanties.

Je ne sais rien de la position du roi de Prusse depuis l’aventure de Maxen. J’ignore s’il est vrai que les Prusses rentrent en Silésie ; tout ce que je sais, c’est que je voudrais que la grande maîtresse des cœurs me présentât un matin à Votre Altesse sérénissime, et mît à ses pieds son courtisan, pénétré du plus profond respect.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Ici commencent les nouvelles négociations de Voltaire pour obtenir la paix. Voyez la lettre de novembre à d’Argental (seul). On se sert du nom de Pertris ou Pertriset pour correspondre. (G. A.)
  3. Frédéric II.
  4. Ses ennemis.