Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3951

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 197-198).

3951. — À M. LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.

L’état de la question est de savoir si, dans la loi des Juifs, il leur est commandé de croire une autre vie ; si on leur promet le ciel après la mort, et si on les menace de l’enfer.

Or, dans la loi des Juifs, il n’y a pas un seul mot de ces promesses, de ces menaces, ni de cette croyance. Arnauld, dans son Apologie de Port-Royal, l’avoue formellement. « C’est le comble de l’ignorance, dit-il, de ne pas admettre cette vérité, qui est une des plus communes. Les promesses de l’Ancien Testament n’étaient que temporelles et terrestres ; les Juifs n’adoraient un dieu que pour les biens charnels. » Il est indubitable que, dans le temps où l’on prétend que le Pentateuque fut écrit, les Chaldéens, les Syriens, les Perses, les Égyptiens, admettaient l’immortalité de l’âme. Il faut savoir ce que tous les peuples entendaient par ce mot chaldéen ruah, traduit en grec par πνεύμα, et chez les Latins par anima ; il voulait dire souffle, vent, vie, ce qui anime ; et ce mot est toujours pris pour la vie dans le Pentateuque.

Les songes dans lesquels l’on voit souvent ses amis morts, et dans lesquels on s’entretient avec eux, firent aisément croire qu’on avait vu les âmes des morts. Ces âmes étaient corporelles ; c’était un vent, c’était une ombre légère qui avait la figure du corps, c’étaient des mânes. Il n’y a pas un seul mot dans toute l’antiquité, jusqu’à Platon, qui puisse faire croire que l’âme eût jamais passé pour un être absolument immatériel.

Thaut, Sanchoniathon, Bérose, les fragments d’Orphée, Manéthon, Hésiode, tous les anciens qui ont dit, sans connaître les livres juifs, que Dieu fit l’homme à son image, crurent Dieu corporel ; et le Pentateuque ne parle jamais de Dieu que comme d’un être corporel.

Dans ce Pentateuque il n’y a pas un seul mot concernant la spiritualité immatérielle de Dieu ni de l’âme humaine. Ceux qui, trompés par quelques mots équivoques, épars dans les prophètes, prétendent que les Juifs avaient quelque idée de l’âme immortelle, et des récompenses et des peines après la mort, devraient considérer qu’ils font de Moïse ou un ignorant bien grossier, puisqu’il n’annonce pas ce que les autres Juifs savaient, ou un fourbe bien malavisé, si, étant instruit de ce dogme si utile, il n’en faisait pas usage.

La défense faite dans le Deutéronome, chap. xviii, de consulter les sorciers ou voyants, les pythons, et de demander la vérité aux morts, n’a rien de commun avec l’espérance d’être récompensé dans la vie future.

Cette défense prouve seulement ce qu’on sait assez, c’est qu’en Égypte, en Chaldée, et en Syrie, il y avait des prophètes, des voyants, des sorciers, qui se mêlaient de prédire. On mettait le crâne ou un autre ossement sous son lit, pour voir en songe l’ombre d’un mort. Ces superstitions très-anciennes ont duré jusqu’à nos jours. Le Pentateuque veut que l’on consulte l’Urim et le Thummim, et non d’autres oracles ; les prêtres juifs, et non d’autres prêtres ; les voyants juifs, et non d’autres voyants.

Au reste, il est prouvé par ce mot de python, qui se trouve dans le Deutéronome[1] que ce livre ne fut écrit que longtemps après la captivité, quand les Juifs commencèrent à entendre parler du serpent Python et des autres fables des Grecs.

Les Juifs ont écrit très-tard, et sont un peuple très-moderne, en comparaison des grandes nations dont ils étaient environnés.

L’ignorance, la superstition, la barbarie des Juifs ne doit avoir aucune influence sur les hommes raisonnables qui vivent aujourd’hui.

  1. Chapitre xviii, verset 11.