Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3928

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 175-176).

3928. — OBSERVATIONS DE M. DE CHAUVELIN,
l’ambassadeur,

Sur une lettre de M. de Voltaire au roi de Prusse, écrite par ordre du ministère, 1759[1].

La lettre est très-bien ; le fond et le ton en sont à merveille ; je n’y ferai que deux observations.

1° Je ne sais si je lui présenterais aussi décisivement l’idée de restitution ; je crois qu’elle lui sera toujours amère, et je ne sais si elle ne blesserait pas sa gloire autant que son intérêt. Peut-être faudrait-il adoucir ce passage.

2° Je crois qu’il conviendrait de lui expliquer davantage le fond d’un système de pacification fondé sur les idées propres à lui, qu’il développe dans sa dernière lettre. En conséquence, je lui dirais, ce me semble :

Vous ne voulez pas faire la paix sans les Anglais ; vous avez raison, votre honneur y est intéressé. Mais pourquoi ne feriez-vous pas faire la paix aux Anglais en même temps qu’à vous ? N’avez-vous pas acquis assez de droits sur leur estime, assez d’ascendant sur eux, pour qu’ils sacrifient quelques-uns de leurs avantages à l’honneur de vous assurer les vôtres ? Alors les Français, en compensation d’un tel bienfait, ne seront-ils pas excités et autorisés à déterminer leurs alliés à des sacrifices équivalents à ceux que les Anglais auront faits pour eux en votre faveur ? Alors ne serez-vous pas l’auteur et le mobile de cette condescendance réciproque qui ramènera tout à un équilibre désirable et utile à tout l’univers ? En un mot, si vous déterminez les Anglais à ne pas envahir l’empire des mers, la propriété de toutes les colonies, et le commerce universel, doutez-vous que les Français n’engagent vos ennemis à renoncer aux prétentions qui vous seraient nuisibles ?

Il semble que cette tirade, maniée par le génie de M. de Voltaire, embellie des grâces nerveuses de son style, et ajoutée aux notions qu’il a déjà prises du roi de Prusse, et des objets les plus propres à l’émouvoir, peut mettre dans tout son jour l’idée d’un plan qu’il serait très-heureux que ce prince saisît, adoptât, et conduisît à sa maturité.

  1. On n’a point trouvé cette lettre au roi ; voyez celle qu’il écrit à Voltaire, du 22 septembre 1759.