Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3877

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 129-130).

3877. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 23 juin.

Mon divin ange parmesan, si je n’obéis pas bien, j’obéis vite. Il y a quelques coups de lime à donner, nous l’avouons ; mais prenez toujours, et, avec le temps, toutes les lois de madame d’Argental seront exécutées. On sait bien qu’en parlant du courrier qui va porter le billet doux, la confidente peut dire :


Il vous fut attaché dès vos plus jeunes ans,
Vos intérêts lui sont aussi chers que la vie[1],


et en faire ainsi un excellent domestique, qui fait pendre sa maîtresse en ne disant pas son secret. Il y a encore quelque chose à fortifier au cinquième acte ; mais il s’agit à présent d’une importante négociation. Votre Suisse vous donnera bientôt autant d’affaires que votre Parme.

Madame la marquise[2] a su que je faisais un drame, et moi, je lui ai écrit galamment que je le lui enverrais, que je le soumettrais à ses lumières, que je me souvenais toujours des belles décorations qu’elle eut la bonté de faire donner à Sémiramis, etc. Elle m’a répondu qu’elle attendait la pièce. Que faut-il donc faire, mon cher ange ? La donner à M. le duc de Choiseul, et que M. le duc de Choiseul la donne à madame la marquise comme un secret d’État. Elle fera ses observations, elle protégera notre Sicile. Je suis Suisse, il est vrai ; mais je sais mon monde, et je veux que les prêtres sachent que je suis bien en cour.

Vous voyez, mon divin ange, que je donne toujours la préférence au spirituel sur le temporel ; vous serez bientôt outrecuidé d’un mémoire sur Tournay.

Mais M. le comte de Choiseul[3] part-il bientôt ? Je voudrais lui envoyer quelque chose pour l’amuser sur la route. Qu’il n’oublie point la comtesse de Bentinck à Vienne, s’il veut être amusé.

  1. Voyez tome V, pages 515 et 564.
  2. La marquise de Pompadour, à qui Voltaire dédia Tancrède.
  3. Les lettres 2424, 3020, 3046, lui sont adressées. — Il remplaçait le duc de Choiseul, son cousin, dans l’ambassade de France à Vienne, et fut nommé, en avril 1766, ambassadeur extraordinaire à Naples.