Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3830

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 79-80).

3830. — À M. LE BARON DE HALLER[1].

J’ai l’honneur de vous renvoyer, monsieur, la lettre que vous avez bien voulu me confier. C’est le malheur des gens oisifs de s’occuper profondément de ces misères, qu’on oublie au bout de deux jours. Le monde ne se soucie guère si un curé de village a eu part ou non à une sottise.

Je suis très-aise que vous soyez aussi des nôtres, que vous donniez dans les bucoliques. Tout ce que nous avons de mieux à faire sur la terre, c’est de la cultiver ; les autres expériences de physique ne sont que jeux d’enfants en comparaison des expériences de Triptolème, de Vertumne et de Pomone ; ce sont là de grands physiciens. Notre semoir, qui épargne la moitié de la semence, est très-supérieur aux coquilles du Jardin du roi. Honneur à celui qui fertilise la terre ! Malheur au misérable, ou couronné, ou encasqué, ou tonsuré, qui la trouble !

Éclairez le monde et desséchez les marais ; il n’y aura que les grenouilles qui auront à se plaindre. J’ai voulu faire taire d’autres grenouilles qui coassaient, je ne sais pourquoi. Cette affaire impertinente est heureusement finie ; il ne fallait pas qu’elles importunassent un homme qui a six charrues à conduire, des maisons à bâtir, et qui n’a pas de temps de reste. J’en aurai toujours quand il faudra vous prouver que je vous estime, et même que je vous aime, car je veux bien que vous sachiez que vous êtes très-aimable.

  1. Biographie d’Albert de Haller (seconde édition), Paris, Delay, 1845. — Desnoiresierres, Voltaire aux Délices.