Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3500

Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 339-340).
3500. — À M. VERNES.
À Lausanne, 29 décembre.

Oui, je vous tiens, mon ami, et, tout jeune que vous êtes, je vous fais mon prêtre. Je signe votre profession de foi[1], à condition que ni vous ni votre aimable Arabe[2] vous n’y changerez jamais rien, et que vous ne mettrez jamais, comme milord[3] Pierre, ni nœud d’épaule ni ruban sur votre bel habit uni.

Ayez la bonté de me garder les grands hommes lyonnais[4] jusqu’à mon retour. Le grand homme du jour[5] m’a fait faire des compliments, et va peut-être donner une nouvelle bataille pour ses étrennes. Il est vrai qu’il a fait conduire à Spandau[6] le théologien de Prades, qu’il a soupçonné d’avoir eu quelque commerce avec la pauvre reine de Pologne. Je ne sais si de Prades l’a confessée et communiée ; mais avouez que c’est une singulière destinée pour un gentilhomme bordelais d’être excommunié à Paris, chanoine en Silésie, et prisonnier à Spandau. Que ne venait-il sur les bords de mon lac ! Il aurait signé votre Catéchisme, et aurait vécu paisiblement.

Or çà, carissime frater in Deo, et in Serveto, êtes-vous bien fâché, dans le fond du cœur, qu’on dise dans l’Encyclopédie que vous pensez comme Origène, et comme deux mille prêtres qui signèrent leur protestation contre le pétulant Athanase ? le bonhomme

Abauzit[7] ne rit-il pas dans sa barbe ? Vous voilà bien malade que quelques gros Hollandais vous traitent d’hétérodoxes ! Serez-vous bien lésés quand on vous reprochera d’être des infâmes, des monstres, qui ne croient qu’un seul Dieu plein de miséricorde ? Allez, allez, vous n’êtes pas si fâchés. Soyez comme Dorine qui aimait Lycas, comme vous devez le savoir. Lycas s’en vanta, et Dorine, qui en fut bien aise, dit :

Lycas est peu discret
D’avoir dit mon secret[8].


D’Alembert est Lycas, vous autres êtes Dorine, et moi je suis tout à vous, très-tendrement.

Au reste, si quelque orthodoxe ou hétérodoxe m’accusait d’avoir la moindre part à l’article Genève, je vous supplie instamment de rendre gloire à la vérité. J’ai appris le dernier toute cette affaire. Je ne veux que le repos, et je le souhaite à tous mes confrères, moines, curés, ministres, séculiers, réguliers, trinitaires, unitaires, quakers, moraves, Turcs, Juifs, Chinois, etc., etc., etc., etc., etc.

  1. Le Catéchisme d’Ostervald, corrigé et amélioré par Jacob Vernes.
  2. Abauzit ; voyez la fin de la lettre 3492.
  3. Voyez la lettre précédente.
  4. Recherches pour servir à l’histoire de Lyon, ou les Lyonnais dignes de mémoire, 1757, deux volumes petit in-8°, ouvrage de Jacques Pernetti, né en 1696, mort en 1777.
  5. Frédéric, qui avait gagné les batailles de Rosbach et de Lissa, les 5 novembre et 5 décembre.
  6. Bastille prussienne. — L’abbé de Prades n’y était pas renfermé. Il avait la ville de Magdebourg pour prison. (B.)
  7. Voyez la lettre 3492.
  8. Vers d’Alceste, opéra de Quinault, acte I, scène iv.