Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3500
Oui, je vous tiens, mon ami, et, tout jeune que vous êtes, je vous fais mon prêtre. Je signe votre profession de foi[1], à condition que ni vous ni votre aimable Arabe[2] vous n’y changerez jamais rien, et que vous ne mettrez jamais, comme milord[3] Pierre, ni nœud d’épaule ni ruban sur votre bel habit uni.
Ayez la bonté de me garder les grands hommes lyonnais[4] jusqu’à mon retour. Le grand homme du jour[5] m’a fait faire des compliments, et va peut-être donner une nouvelle bataille pour ses étrennes. Il est vrai qu’il a fait conduire à Spandau[6] le théologien de Prades, qu’il a soupçonné d’avoir eu quelque commerce avec la pauvre reine de Pologne. Je ne sais si de Prades l’a confessée et communiée ; mais avouez que c’est une singulière destinée pour un gentilhomme bordelais d’être excommunié à Paris, chanoine en Silésie, et prisonnier à Spandau. Que ne venait-il sur les bords de mon lac ! Il aurait signé votre Catéchisme, et aurait vécu paisiblement.
Or çà, carissime frater in Deo, et in Serveto, êtes-vous bien fâché, dans le fond du cœur, qu’on dise dans l’Encyclopédie que vous pensez comme Origène, et comme deux mille prêtres qui signèrent leur protestation contre le pétulant Athanase ? le bonhomme
Abauzit[7] ne rit-il pas dans sa barbe ? Vous voilà bien malade que quelques gros Hollandais vous traitent d’hétérodoxes ! Serez-vous bien lésés quand on vous reprochera d’être des infâmes, des monstres, qui ne croient qu’un seul Dieu plein de miséricorde ? Allez, allez, vous n’êtes pas si fâchés. Soyez comme Dorine qui aimait Lycas, comme vous devez le savoir. Lycas s’en vanta, et Dorine, qui en fut bien aise, dit :Lycas est peu discret
D’avoir dit mon secret[8].
D’Alembert est Lycas, vous autres êtes Dorine, et moi je suis tout à vous, très-tendrement.
Au reste, si quelque orthodoxe ou hétérodoxe m’accusait d’avoir la moindre part à l’article Genève, je vous supplie instamment de rendre gloire à la vérité. J’ai appris le dernier toute cette affaire. Je ne veux que le repos, et je le souhaite à tous mes confrères, moines, curés, ministres, séculiers, réguliers, trinitaires, unitaires, quakers, moraves, Turcs, Juifs, Chinois, etc., etc., etc., etc., etc.
- ↑ Le Catéchisme d’Ostervald, corrigé et amélioré par Jacob Vernes.
- ↑ Abauzit ; voyez la fin de la lettre 3492.
- ↑ Voyez la lettre précédente.
- ↑ Recherches pour servir à l’histoire de Lyon, ou les Lyonnais dignes de mémoire, 1757, deux volumes petit in-8°, ouvrage de Jacques Pernetti, né en 1696, mort en 1777.
- ↑ Frédéric, qui avait gagné les batailles de Rosbach et de Lissa, les 5 novembre et 5 décembre.
- ↑ Bastille prussienne. — L’abbé de Prades n’y était pas renfermé. Il avait la ville de Magdebourg pour prison. (B.)
- ↑ Voyez la lettre 3492.
- ↑ Vers d’Alceste, opéra de Quinault, acte I, scène iv.