Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3268

Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 137-138).

3268. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Aux Délices, 8 décembre.

Je vous souhaite de bonnes et de belles années, c’est-à-dire celles auxquelles vous êtes accoutumé, monseigneur ; et je m’y prends tout exprès un peu à l’avance, car vous allez être accablé de lettres dans ce temps-là. Je me trompe encore, ou vous entrez en exercice de premier gentilhomme de la chambre, ou vous installerez[1] M. le duc de Fronsac, ce qui ne vous occupera pas moins. Et qui sait si, au printemps, vous n’irez pas encore commander quelque armée ? Qui sait si vous ne ferez pas gagner des batailles à l’impératrice ? Vous n’aviez pas déplu à sa mère, vous seriez le vengeur de la fille. Les grenadiers français ne seraient pas fâchés de vous suivre, et d’opposer leur impétuosité aux pas mesurés des Prussiens. Milord Maréchal[2], qui m’est venu voir dans mon trou ces jours passés, dit des choses bien étonnantes. Il prétend qu’à la dernière bataille ce sont huit bataillons seulement qui ont soutenu tout l’effort de l’armée autrichienne. Je m’imagine que contre vous il en aurait fallu un peu davantage. Je voudrais vous y voir, tout paralytique que je suis. Il me semble que vous êtes fait pour notre nation, et elle pour vous.

Nous avons ici le frère d’un nouveau secrétaire d’État d’Angleterre ; il chante vos louanges, et non pas celles de son pays. Il vient chez moi beaucoup d’Anglais ; jamais je ne les ai vus si polis : je pense qu’ils vous en ont l’obligation.

Commandez des armées ou donnez des fêtes ; quelque chose que vous fassiez, vous serez toujours le premier des Français à mes yeux, et le plus cher à mon cœur, qui vous appartient avec le plus profond respect. Ma nièce partage mes sentiments. J’écris rarement ; mais que voulez-vous que dise un solitaire, un Suisse, un malingre ?

  1. Louis XV, après l’expédition de Minorque, avait donné au duc de Fronsac la survivance de la charge de premier gentilhomme de la chambre, charge à raison de laiquele le maréchal de Richelieu fut de service, ou d’année, en 1757.
  2. George Keith.