Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3209

Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 78-79).

3209. — À M. PÂRIS-DUVERNEY.
Aux Délices, le 26 juillet.

Votre lettre, monsieur, augmente la joie que les succès de M. le maréchal de Richelieu m’ont causée. Votre amitié pour lui, qui ne s’est jamais démentie, justifie bien mon attachement. Une si belle action fait sur vous d’autant plus d’effet que vous formez au roi des sujets qui apprendront à l’imiter. Vous vous êtes fait une carrière nouvelle de gloire par cette belle institution[1] qu’on doit à vos soins, et qui sera une grande époque dans l’histoire du siècle présent. Le nom de M. le maréchal de Richelieu ira à la postérité, et le vôtre ne sera jamais oublié.

Les événements présents fourniront probablement une ample matière aux historiens. L’union des maisons de France et d’Autriche, après deux cent cinquante ans d’inimitiés ; l’Angleterre, qui croyait tenir la balance de l’Europe, abaissée en six mois de temps ; une marine formidable créée avec rapidité ; la plus grande fermeté déployée avec la plus grande modération : tout cela forme un bien magnifique tableau. Les étrangers voient avec admiration une vigueur et un esprit de suite, dans le ministère, que leurs préjugés ne voulaient pas croire. Si cela continue, je regretterai bien de n’être plus historiographe de France. Mais la France, qui ne manquera jamais ni d’hommes d’État ni d’hommes de guerre, aura toujours aussi de bons écrivains, dignes de célébrer leur patrie.

Je ne suis plus bon à rien ; ma santé m’a rendu la retraite nécessaire. Il eût été plus doux pour moi de cultiver des fleurs auprès de Plaisance[2] qu’auprès de Genève ; mais j’ai pris ce que j’ai trouvé. J’aurais eu bien difficilement un séjour plus agréable et plus convenable. Le fameux docteur Tronchin vient souvent chez moi. J’ai presque toute ma famille dans ma maison. La meilleure compagnie, composée de gens sages et éclairés, s’y rend presque tous les jours, sans jamais me gêner. Il y vient beaucoup d’Anglais, et je peux vous dire qu’ils font plus de cas de votre gouvernement que du leur.

Vous souffrez sans doute, monsieur, avec plaisir ce compte que je vous rends de ma situation. Je vous dois, en grande partie, la douceur de ma fortune ; je ne l’oublierai point. Je vous serai attaché jusqu’au dernier moment de ma vie.

Je vous prie, quand vous verrez monsieur votre frère[3], de vouloir bien l’assurer de mes sentiments, et de compter sur ceux avec lesquels j’ai l’honneur d’être si véritablement, etc.

  1. L’École royale militaire.
  2. Campagne de Pâris-Duverney.
  3. Pâris-Montmartel.