Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3150

Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 22-23).

3150. — À M. THIERIOT.
Aux Délices, 12 avril.

Je dicte ma lettre, mon cher et ancien ami, parce que je ne me porte pas trop bien. C’est tout juste le cas de combattre plus que jamais le système de Pope.


Bonne ou mauvaise santé
Fait notre philosophie[1].


Mandez-moi comment je peux vous envoyer quelques exemplaires de mes lamentations de Jérémie sur Lisbonne, et de mon testament en vers, où je parle de la religion naturelle d’une manière en vérité très-édifiante. J’ai arrondi ces deux ouvrages autant que j’ai pu ; et, quoique j’y aie dit tout ce que je pense, je me flatte pourtant d’avoir trouvé le secret de ne pas offenser beaucoup de gens. Je rends compte de tout dans mes préfaces, et j’ai mis à la fin des poëmes des notes assez curieuses. Je ne sais si les théologiens de Paris me rendront autant de justice que ceux de Genève. Il y a plus de philosophie sur les bords de notre lac qu’en Sorbonne. Le nombre des gens qui pensent raisonnablement se multiplie tous les jours. Si cela continue, la raison rentrera un jour dans ses droits ; mais ni vous ni moi ne verrons ce beau miracle. Je suis fâché que vous ayez perdu l’idée de venir à mes Délices ; elles commencent à mériter leur nom : elles sont bien plus jolies qu’elles ne l’étaient quand votre petit aimable Patu y fit un pèlerinage. Je vous assure que c’est une jolie retraite, bien convenable à mon âge et à ma façon de penser. Je ne fais pas de si beaux vers que Pope, mais ma maison est plus belle que la sienne, et on y fait meilleure chère, grâce aux soins de Mme Denis ; et je vous réponds que les jardins d’Épicure ne valaient pas les miens. Si jamais vous vous ennuyez des rues de Paris, et que vous vouliez faire un voyage philosophique, je me chargerai volontiers de votre équipage. Dites, je vous en prie, à Lambert, que je vais lui envoyer les poëmes de Lisbonne et de la Loi naturelle. Dites-lui, en même temps, qu’il aurait bien dû s’entendre avec les Cramer pour l’édition de mes rêveries. Il était impossible que cette édition ne se fît pas sous mes yeux ; vous savez que je ne suis jamais content de moi, que je corrige toujours ; et il y a telle feuille que j’ai fait recommencer quatre fois. L’édition est finie depuis quelques jours. Puisque Lambert en veut faire une, il me fera grand plaisir de mettre votre nom[2] à la tête du premier Discours sur l’Homme ; le quatrième[3] est pour un roi, et le premier sera pour un ami : cela est dans l’ordre.

Bonsoir : je vous embrasse,

  1. Ce sont les deux derniers vers de l’ode de Chaulieu sur la Première Attaque de goutte.
  2. Voyez les Variantes de ce Discours, et la lettre du 6 décembre 1738, à Thieriot.
  3. C’est-à-dire le cinquième.