Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 3027

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 472-473).

3027. — À M. BERTRAND.
Aux Délices, 26 septembre.

De nouveaux contre-temps très-tristes, mon cher monsieur, me privent, cette année, du plaisir que je me préparais de venir vous embrasser à Berne. Je partais pour Monrion, lorsqu’un courrier, dépêché par Mme de Giez, femme de mon banquier, vint m’apprendre que son mari[1] était à la mort, dans ma maison que je lui ai prêtée, et où je venais d’envoyer tout mon petit bagage. Ce M. de Giez est non-seulement mon banquier, mais mon ami. Je n’ai senti que l’affliction que me cause son triste état. S’il en réchappe, sa convalescence sera longue, et je lui laisse de grand cœur ma maison, où il est avec toute sa famille. Si nous le perdons, ce seront encore de très-grands embarras joints à ma douleur. La vie est remplie de ces traverses, jusqu’au dernier moment. Ma santé est toujours très-languissante ; il n’y a de consolation que dans une résignation entière à la volonté d’un Être suprême. Quel cruel contraste entre ces réflexions et la gaieté un peu indécente de ces anciens fragments de la Pucelle, qu’on assure être imprimés ! Cette nouvelle achève de me désespérer. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien présenter mes respects à M. le colonel Jenner, aussi bien qu’à M. le banderet de Freudenreich.

Vous ignorez peut-être que le conseil de Genève a fait un réquisitoire à celui de Lausanne, pour se faire représenter le Mémoire scandaleux et calomnieux du nommé Grasset. Le libraire Bousquet a été obligé de donner l’original de ce mémoire, sur la lecture duquel le conseil de Genève a décerné un décret de prise de corps contre Grasset. Je ne pouvais, ce me semble, avoir une meilleure réfutation ; mais enfin cette affaire est toujours désagréable. Oserais-je vous supplier de faire parvenir cette nouvelle à monsieur le secrétaire[2] de votre consistoire, qui m’a paru être informé du Mémoire de Grasset, et de l’effet dangereux qu’il pouvait produire ? Mme Denis vous fait mille compliments. Je vous suis tendrement attaché, à la vie et à la mort.

  1. Lettre 2843.
  2. Tshifeli, cité plus haut, lettre 3011.