Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 3001

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 450-451).

3001. — À MADAME DE FONTAINE.
Aux Délices, 6 septembre.

Je suis pénétré de tout ce que vous faites, ma très-chère nièce. On a travaillé, pendant mon absence, à rendre la pièce moins indigne du public ; on a pu la raccommoder, on a pu la gâter : cela prouve qu’il ne faut jamais donner des tragédies de si loin, et que les absents ont tort. Il est certain que, si l’on imprimait la pièce dans l’état où elle est aux représentations, on la sifflerait à la lecture ; mais c’est le moindre des chagrins qu’il faut que j’essuie. Ils sont bien adoucis par vos soins, par vos bontés, par votre amitié, M. Delaleu payera, sur vos ordres, les copies[1] que vous faites faire pour moi.

Tout ce que je demande, c’est qu’on me laisse mourir tranquille dans l’asile que j’ai choisi, et que je puisse vous y embrasser avant de mourir.

Nous avons ici un médecin[2] beau comme Apollon et savant comme Esculape. Il ne fait point la médecine comme les autres. On vient de cinquante lieues à la ronde le consulter. Les petits estomacs ont grande confiance en lui. Ce sera, je crois, votre affaire, si jamais vous avez le courage et la force de passer nos montagnes.

Votre sœur ne m’a avoué qu’aujourd’hui sa tracasserie avec Chîmène[3]. Cette nouvelle horreur d’elle me plonge dans un embarras dont je ne peux plus me tirer. Je suis trop malade et trop accablé pour travailler à notre Orphelin ; je me résigne à ma triste destinée, et je vous aime de tout mon cœur.

Votre frère a écrit une lettre charmante à sa sœur ; il a bien de l’esprit, et l’esprit bien fait. J’embrasse votre fils, qui sera tout comme lui.

  1. De la Pucelle, telle que Voltaire l’avait composée. (Cl.)
  2. Tronchin, dont Voltaire parla toujours avec le langage de l’amitié.
  3. Le marquis de Ximenès.