Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2977

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 430).
2977. — À M. TRONCHIN DE LYON[1].
8 août 1755.

Les La Beaumelle et autres ont eu la barbarie de me poursuivre jusqu’au pied des Alpes. Ils ont fait courir partout un manuscrit digne de la plus vile canaille, sous le nom de la Pucelle d’Orléans. Voici ce qu’on y trouve. C’est de Charles VII, roi de France, dont il s’agit. Le laquais qui a composé ces vers n’est pas obligé de savoir que Charles VII n’est point de la branche des Bourbons.


Charle amoureux d’une gueuse fanée
Dort en Bourbon la grasse matinée.
Et saint Louis, le saint et bon apôtre,
À ses Bourbons en pardonne bien d’autre.
Les Richelieu l’ont nommé m…


Voilà pourtant ce qu’on ose m’attribuer. Un nommé Grasset, qui est d’ailleurs un voleur public, est venu me proposer de me vendre ce beau manuscrit cinquante louis d’or. Je l’ai sur-le-champ déféré à la justice, lui et son manuscrit. Il a été flétri et banni. On dit qu’il s’est retiré à Lyon, et qu’il va passer à Trévoux. Je vous supplie, monsieur, de faire lire cet écrit ou la substance à monseigneur le cardinal de Tencin et à M. de Rochebaron, s’il est possible, afin de prévenir de grandes calomnies et de grands malheurs. Pardonnez au trouble où ma douleur me plonge. Quelque absurde, quelque impertinente que soit la calomnie, elle est toujours très à craindre. M. l’abbé Pernetti m’a mandé que ces horreurs couraient dans Lyon. Il me mande aussi qu’il est constant que le roi demandera mon éloignement de Genève. Je crois le roi trop juste pour m’imputer des vers que les laquais de Paris rougiraient d’avoir faits. Je crois le cardinal de Tencin trop juste pour m’en accuser, pour persécuter un innocent dont il n’a pas assurément à se plaindre.

  1. Revue suisse, 1855, page 279.