Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2931

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 389-390).

2931. — À M. DE BRENLES.
Aux Délices, 6 juin.

Le plus triste effet de la perte de la santé, mon cher et aimable philosophe, n’est pas de prendre tous les jours de la casse, et de la manne délayée dans de l’huile, par ordre de M. Tronchin ; c’est de ne point voir ses amis, c’est de ne leur point écrire. Le découragement est venu combler mes maux. J’aurais dû être ranimé par des traverses que le bon pays de Paris m’a envoyées dans ma solitude ; mais je ne sens plus que la privation de la santé et la vôtre. Je fais un peu ajuster cette maison, qui est trop loin de vous pour être appelée les Délices. Je fais aussi accommoder notre Monrion, et je ne jouis ni de l’un ni de l’autre. Il faudrait au moins être débarrassé des ouvriers, qui m’accablent ici, pour venir dans votre voisinage, et j’ai bien peur d’en avoir encore pour longtemps. Notre ami Dupont m’a mandé qu’il viendrait nous voir en septembre ; c’est à Monrion qu’il faudra nous rassembler.

Il y a actuellement un nommé Grasset à Lausanne ; il se mêle de librairie, et est lié avec M. Bousquet[1]. Cet homme vient de Paris, et je suis informé qu’on l’a pressé de faire imprimer des ouvrages qu’on m’impute. Je n’ose vous prier d’envoyer chercher le sieur Grasset ; mais si par hasard il vous tombait sous la main, vous me feriez plaisir de l’engager à s’adresser directement à moi : il trouverait probablement plus d’avantage à mériter ma reconnaissance par une conduite honnête qu’il n’aurait de profit à imprimer de mauvais ouvrages.

Il est vrai que je me suis amusé à faire quelques vers[2] sur votre beau lac, et à chanter votre liberté. Ce sont deux beaux sujets ; mais je n’ai plus de voix, et je détonne. Quand j’aurai le bonheur de vous voir, je vous montrerai ce petit ouvrage ; je n’en suis pas encore content.

Adieu, mon cher philosophe ; vivez heureux avec celle qui partage votre philosophie ; augmentez votre famille, et conservez-la. Mille tendres compliments, je vous en prie, à M. Polier, quand vous le verrez. Adieu ; aimez toujours un peu ce solitaire qui vous aime tendrement. V.

  1. Imprimeur.
  2. l’Êpitre sur le lac de Genève ; voyez tome X.