Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2878

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 344-345).

2878. — À M. GUIGER, BARON DE PRANGINS[1].
De votre château de Prangins, 12 février

Nous ne pouvons trop, monsieur, vous renouveler nos remerciements, Mme Denis et moi. Toute la famille de M. de Ribeaupierre s’est empressée d’adoucir par ses soins officieux les maladies qui me persécutent. M. de Ribeaupierre le fils a surtout contribué' à notre consolation : c’est un jeune homme qui réunit le meilleur cœur du monde, l’intelligence et l’activité. MM. Tronchin et Labal, vos amis, ont bien voulu être les nôtres. Ils nous ont procuré la maison de Saint-Jean (les Délices), que vous connaissez. Les jardins en sont délicieux. C’est une acquisition sur laquelle je ne devais pas compter. Elle me plaît d’autant plus qu’elle me mettra à portée de venir vous voir toutes les fois que vous viendrez dans votre magnifique château, et de m’informer de plus près des progrès singuliers que fait monsieur votre fils. J’apprends de tous côtés qu’on n’a jamais vu d’enfant si au-dessus de son âge. On dit que vous avez le courage de vouloir lui donner la petite vérole pour l’en préserver, courage qui a réussi à tous ceux qui ont pensé à l’anglaise, et que les Français ne connaissent pas encore. Il sont venus tard à tout ce qui est hardi et utile. Ils ont été obligés d’adopter enfin les principes de la philosophie anglaise, ceux du commerce, ceux des finances. Ils arriveront enfin à l’inoculation, à force de tristes expériences.

J’espère toujours que vous nous amènerez Mme de Fontaine ; il faut qu’une Parisienne voie qu’il est ailleurs des beautés de la nature et de l’art, et que le lac de Genève vaut bien la Seine. Pour moi, je trouve que la solitude vaut bien Paris.

Si vous avez quelques nouvelles, monsieur, de ce qui se passe à Pondichéry, et que vous puissiez nous en faire part, je vous en sérai obligé. Ce qu’on en dit ne pourrait être que funeste à la compagnie des Indes.

Je finis en vous remerciant encore, et en vous assurant que je serai toute ma vie, avec la plus invariable reconnaissance, monsieur, votre, etc.

  1. Éditeurs, de Cayrol et Français.