Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2812

Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 284-285).

2812. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Colmar, le 7 novembre.

Voici, monseigneur, une lettre que Mme Denis reçoit aujourd’hui. On m’en écrit quatre encore plus positives. Ce n’est pas là un rafraîchissement pour des malades. J’ai bien peur de mourir sans avoir la consolation de vous revoir. Nous sommes forcés et tout prêts à prendre un parti bien triste. Quelque chose que je dise à Mme Denis, je ne peux la résoudre à séparer sa destinée de la mienne. Le comble de mon malheur, c’est que l’amitié la rende malheureuse. Si vous aviez quelque chose à me dire, quelque ordre à me donner, je vous supplie d’adresser toujours vos ordres à Colmar ; vos lettres me seront très exactement rendues.

Je ne crois pas que le cérémonial ait entré dans la tête de Mme la margrave de Baireuth. Elle ne fait point difficulté d’aller affronter un vice-légat italien ; elle serait beaucoup plus aise de voir celui qui fait l’honneur et les honneurs de la France ; elle voyage incognito. On n’est plus au temps où le puntiglio[1] faisait une grande affaire, et vous êtes le premier homme du monde pour mettre les gens à leur aise. Je crois qu’elle ne ma point trompé quand elle ma dit qu’elle craignait la foule des états et l’embarras du logement. Elle n’est pas si malingre que moi, mais elle a une santé très-chancelante, qui demande du repos sans contrainte. Elle trouverait tout cela avec vous, avec les agréments qu’on ne trouve guère ailleurs. Reste à savoir si elle aura la force de faire le petit chemin d’Avignon à Montpellier, car on dit qu’elle est tombée malade en route. Elle a un logement retenu dans Avignon, elle n’en a point à Montpellier, Pour moi, je voudrais être caché dans un des souterrains du Merdenson, et vous faire ma cour le soir, quand vous seriez las de la noble assemblée. Mais je suis, de toutes façons, dans un état à n’espérer plus dans ce monde d’autre plaisir que celui de vous être attaché avec le plus tendre respect, de vous regretter avec larmes, et de souffrir tout le reste patiemment.

  1. Mot italien qui veut dire pointillerie