Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2810

Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 283).

2810 — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
À Colmar, le 7 novembre.

Qu’ai-je été chercher à Colmar ! Je suis malade, mourant, ne pouvant ni sortir de ma chambre, ni la souffrir, ni capable de société, accablé, et n’ayant pour toute ressource que la résignation à la Providence. Que ne suis-je près des deux saintes de l’île Jard : Je remercie bien Mme de Brumath de l’honneur de son souvenir, et du châtelet, et de la comédie[1] de Marseille, et de la liberté grecque de cet échevin héroïque, qui a la tête assez forte pour se souvenir qu’on était libre il y a environ deux mille cinq cents ans. Ô le bon temps que c’était ! Pour moi, je ne connais de bon temps que celui où l’on se porte bien. Je n’en peux plus. Ô fond de la boîte de Pandore ! Ô espérance ! où êtes-vous ?

M. et Mme de Klinglin me témoignent des bontés qui augmentent ma sensibilité pour l’état de monsieur leur fils. Il n’y a que la piscine de Siloë[2] qui puisse le guérir ; il sied bien après cela à d’autres de se plaindre ! C’est auprès de lui qu’il faut apprendre à souffrir sans murmurer. Ah ! mesdames, mesdames, qu’est-ce que la vie ? quel songe, et quel funeste songe ! Je vous présente les plus tristes et les plus tendres respects… Voilà une lettre bien gaie !

  1. Belzunce, évêque de Marseille, montra un zèle excessif en faveur de la bulle Unigenitus, jusqu’à sa mort, qui eut lieu le 4 juin 1755. (Cl.)
  2. Jean, ix, 7.