Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2807

Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 279-280).

2807. — À M. Le MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Colmar, le 27 octobre.

C’est actuellement que je commence à me croire malheureux. Nous voilà malades en même temps, ma nièce et moi. Je me meurs, monseigneur ; je me meurs, mon héros, et j’en enrage. Pour ma nièce, elle n’est pas si mal ; mais sa maudite enflure de jambe et de cuisse lui a repris de plus belle. Il faut des béquilles à la nièce, et une bière à l’oncle. Comptez que je suspends l’agonie en vous écrivant ; et ce qui va vous étonner, c’est que, si je ne me meurs pas tout à fait, ma demi-mort ne m’empêchera point de venir vous voir sur votre passage. Je ne veux assurément pas m’en aller dans l’autre monde sans avoir encore fait ma cour à ce qu’il y a de plus aimable dans celui-ci, Savez-vous bien, monseigneur, que la sœur du roi de Prusse, Mme la margrave de Baireuth, m’a voulu mener en Languedoc et en terre papale[1] ? Figurez-vous mon étonnement quand on est venu dans ma solitude de Colmar pour me prier à souper, de la part de Mme de Baireuth, dans un cabaret borgne. Vraiment l’entrevue a été très-touchante. Il faut qu’elle ait fait sur moi grande impression, car j’ai été à la mort le lendemain.

  1. Le comtat d’Avignon, ainsi appelé par d’Assoucy dans le Voyage de Chapelle et Bachaumont.