Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2792

Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 264).
2792. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
À Colmar, 4 octobre 1754.

Madame, jai respecté les États d’Altembourg ; je n’ai point osé mêler mes inutiles lettres aux affaires de Votre Altesse sérénissime ; mais si elle est actuellement dans son palais tranquille de Gotha, qu’elle daigne y recevoir mes hommages. C’est à Gotha qu’ils doivent s’adresser ; c’est là que j’ai passé les plus beaux de mes jours. Si Votre Altesse sérénissime daigne toujours s’y occuper de l’amusement des belles-lettres, je lui demande la permission de lui envoyer le manuscrit d’une nouvelle tragédie[2], qui a du moins le mérite de la singularité. Je veux vous envoyer mes enfants, madame, ne pouvant moi-même venir me mettre à vos pieds. Je ne sais par quelle fatalité je reste à Colmar, quand je pourrais être mieux.

J’avais imaginé de passer par la cour palatine pour aller à la votre ; mais je me trouve sous les ordres de ma nièce, ma garde-malade, qui est venue en Alsace gouverner le bien que j’y ai et ma personne : il faut qu’un malade obéisse.

Je me flatte que Votre Altesse sérénissime jouit d’une santé inaltérable, et que le voyage d’Altembourg aura fait du bien à la grande maîtresse des cœurs. J’ai été longtemps alarmé pour elle. Oue ne puis-je venir encore partager ce zèle et cet attachement qu’elle a pour votre personne ! Que ne puis-je au moins, madame, contribuer de loin à vos amusements ! Mais j’ai peu de relations avec la république des lettres et des bagatelles de Paris. Je n’entends parler de rien qui soit digne de votre curiosité. On ne fait plus que répéter et retourner les ouvrages faits il y a près d’un siècle, et il faudrait pour vous un siècle nouveau. Pour moi, madame, il ne me faudrait que votre présence.

Je me mets aux pieds de monseigneur, de votre auguste famille, et surtout aux vôtres, avec le plus profond respect et la plus tendre reconnaissance.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. L’Orphelin.