Correspondance de Voltaire/1753/Lettre 2592

Correspondance de Voltaire/1753
Correspondance : année 1753GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 65-66).

2592. — DE MADAME DENIS
à m. le chevalier de la touche[1].
À francfort, 23 juin.

Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien rendre ou faire rendre cette lettre à cachet volant[2] en mains propres au roi de Prusse. Je crains que mes lettres ne lui soient pas rendues. Vous verrez par le contenu qu’il est bien nécessaire qu’il soit instruit. Je me meurs, je ne peux vous écrire de ma main. Mon oncle, aussi malade que moi, se recommande à vos bontés[3].


Denis.

[4]Depuis ma lettre écrite, on me dit que je suis encore prisonnière. Je suis dans les convulsions de la mort. Je vous supplie d’obtenir la miséricorde du roi et de lui faire considérer que, lorsque mon oncle a pris le parti de vouloir sortir le 20, tout ce que le roi marquait par ses ordres était fait ; que M. Freytag et M. Schmidt avaient la grande caisse où était le livre que Sa Majesté redemandait ; qu’ils avaient toutes les lettres du roi qui s’étaient trouvées dans les papiers de mon oncle, et qu’enfin nous ne savions plus ce qu’on nous voulait. Si, malgré toutes ces raisons, le roi trouve que le départ de mon oncle a été trop précipité, jetez-vous à ses genoux pour le prier de lui pardonner, et assurez-le de sa soumission envers le roi et de son respect et son attachement, qui ne finira qu’avec sa vie.

Nous avons affaire ici à des gens qui pensent que plus ils nous tourmentent, plus ils l’ont leur cour à Sa Majesté prussienne ; et je suis bien sûre qu’ils n’agissent pas selon les intentions du roi, en qui nous mettons toute notre espérance et toute notre confiance. Je suis venue de Paris exprès ici, monsieur, pour tâcher de rendre à mon oncle sa santé, et pour chercher à tout concilier et surtout à l’empêcher d’écrire contre Maupertuis, parce que je sais que cela déplaît au roi ; il m’a tout promis, et le roi verra qu’actuellement il ne fera pas un pas ni une seule démarche qui puisse jamais lui déplaire. Je n’ai osé parler encore au roi de tout ce que je vous mande. Milord Maréchal connaît mes sentiments, et je puis vous répondre que je donnerais tout ce que je possède au monde pour que le roi voulût pardonner à mon oncle et lui rendre sa protection. Je compte sur votre amitié, et j’espère que vous ferez tout ce que vous pourrez pour obtenir la miséricorde du roi. Je vous en aurai la plus vive obligation. Mes malheurs ne sont rien, et je les oublierai tous si le roi veut bien oublier tous les torts de mon oncle et lui pardonner. Adieu, monsieur, je ne peux vous en dire davantage, car je me sens fort mal dans ce moment-ci.

Depuis cette lettre écrite, M. de Voltaire, qui de son côté est au lit très-malade, et qui ne peut écrire, joint sa prière à celle de Mme Denis. Il compte sur les bons offices de Son Excellence les plus prompts et les plus pressants, et le supplie instamment de faire parvenir au roi la lettre de Mme Denis à Sa Majesté.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Sans doute la lettre 2587, avec l’addition.
  3. Ce qui précède est écrit de la main du secrétaire de Voltaire, et signé de Mme Denis.
  4. De la main de Voltaire.