Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2420

Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 474-475).

2420. — À M. LE MARQUIS DE XIMENÈS,
à paris.
À Potsdam, le 29 août.

Je vous aurais très-bien reconnu à votre style, monsieur, et à vos bontés. Vous m’annoncez une nouvelle qui me fait grand plaisir ; vous allez croire que c’est du Duc de Foix que je veux parler ; point du tout, c’est de Néron[1]. Je suis bien plus flatté, pour l’honneur de l’art, que vous vouliez bien être des nôtres, que je ne suis séduit par un de ces succès passagers dont le public ne rend pas plus raison que de ses caprices.

Honorez notre confrérie de votre nom ; montrez que les Français vont à la gloire par tous les chemins. Il y avait des vers extrêmement beaux dans votre ouvrage[2]. Plus votre génie s’est développé, et plus vous vous êtes senti en état de bâtir une édifice régulier avec les matériaux que vous avez amassés.

Je souhaite me trouver à Paris quand vous gratifierez le public de votre tragédie. Vous me ferez oublier les cabales des gens de lettres, et la persécution des fanatiques. Les sottises qu’on a faites à Paris, depuis un an ou deux, ont tellement décrié la nation dans l’Europe qu’elle a besoin que les beaux-arts réhabilitent ce que les billets de confession, et cent autres impertinences de cette nature, ont avili. Je me flatte que vous y contribuerez, et que, si l’on siffle la Sorbonne, vous rendrez le Théâtre-Français respectable.

Permettez-moi de présenter mes respects à madame la marquise et à vos amis.

  1. Ximenès avait envoyé à Voltaire un manuscrit de son Épicharis, tragédie qui fut jouée sur le Théâtre-Français, le 2 janvier 1753, dont un fragment est imprimé dans le Choix de poésies d’Augustin Ximenès, 1807, in-8°.
  2. Les honneurs accordés par Louis XIV au mérite militaire, augmentés par Louis XV ; sujet donné par l’Académie française pour le prix de l’année 1752.