Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2362

Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 403-404).

2362. — À MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH[1].
À Potsdam, 10 avril 1752.

Madame, je n’avais point eu de nouvelles depuis un an du marquis d’Adhémar, qui avait tant d’envie de s’attacher à Votre Altesse royale, et que vous paraissiez désirer d’avoir dans votre maison. Il n’avait pu jusqu’à présent surmonter les difficultés que lui faisait son père, qui est, comme le sait probablement Votre Altesse royale, grand maréchal du roi Stanislas à Lunéville. Enfin il me mande qu’il a levé les obstacles qu’on lui opposait, et qu’il est prêt de venir se mettre aux pieds de Votre Altesse royale. J’ignore si vous êtes toujours, madame, dans les mêmes sentiments ; comme toutes les charges de votre maison sont remplies, il demanderait un titre de chevalier d’honneur : c’est une charge que je ne crois guère connue qu’en France, et qui répond à celle de premier ou grand écuyer ; mais ce n’est qu’un simple titre, il ne s’agit seulement que de n’avoir pas l’air d’être un homme inutile. Je me souviens que Votre Altesse royale avait compté lui donner quinze cents écus d’appointements. Voilà l’état où est cette petite affaire. J’ai répondu au marquis d’Adhémar que j’attendais vos ordres, et je n’ai engagé Votre Altesse royale à rien. Je lui ferai part, madame, de vos dernières résolutions, et des commandements dont il vous plaira de m’honorer. Tout ce que je sais, c’est que je voudrais bien grossir quelque temps avec lui le nombre de vos courtisans. Mais frère Voltaire ne sait encore quand il mettra le nez hors de sa cellule. Il est le meilleur moine du monde, et s’accoutume trop à la vie solitaire. Je pourrais bien, après le mariage de monseigneur le prince Henri, prendre mon essor et venir vous faire ma cour. Mais je ne réponds de rien, et je me résigne entièrement à la Providence. Je me flatte que votre santé, madame, n’essuie plus de ces orages qui nous ont tant alarmés, et qu’ainsi aucune amertume ne se mêle à la douceur de votre vie. Permettez-moi de renouveler pour jamais à Votre Altesse royale et à monseigneur le margrave mes plus profonds respects et mon inviolable attachement. Si j’osais, je mettrais ici quelque chose pour M. de Montperny ; mais comment prendre la liberté ?


Voltaire.

  1. Revue française, 1er février 1866 ; tome XIII, page 216.