Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2339

Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 379-380).

2339. — À M. DARGET.
À Berlin, février 1752.

Mon cher ami, je mettrai aux pieds du roi les autres exemplaires dont Sa Majesté daigne charger ses autres bibliothèques : je suis trop heureux, trop récompensé, qu’il daigne me faire cet honneur. Il n’y aura certainement que lui qui en aura, et peut-être brûlerai-je l’édition. Je suis trop indigné de l’infâme et absurde calomnie qui a couru sur une édition que j’ai fait faire ici à grands frais, uniquement pour faire ma cour au roi. Les exemplaires qu’on avait détournés, et que M. de Bielfeld et d’autres avaient vus, m’ont été remis. L’édition m’appartient, et n’appartient qu’à moi. Mais si les étrangers qui ont quitté leur patrie pour être aux pieds de ce grand homme sont la proie des calomnies les plus cruelles et les moins vraisemblables, que deviendront-ils ? Ma maladie m’a mis dans un état horrible qui ferait pitié aux cœurs les plus durs. Le chagrin ne me guérit pas. Je ne croyais pas finir ici d’une manière si affreuse.

M. de Tyrconnell n’est pas si mal que moi. Doutez-vous qu’un ouvrage, fait pour la gloire de ma patrie, ne soit entre vos mains s’il est public, et que vous ne l’ayez le premier ? Mais, encore une fois, je suis si indigné de l’abominable calomnie qu’on a eu la lâcheté de faire courir, et je suis si mal que je ne peux me résoudre à présent à publier le livre. Si je meurs, je le brûlerai certainement, aussi bien que tous mes papiers, avant de finir une vie si malheureuse.